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Saga Castelbajac : l’exploitation trompeuse d’une marque patronymique par son cessionnaire peut-elle être sanctionnée par sa déchéance pour usage déceptif ?

Saga Castelbajac : l’exploitation trompeuse d’une marque patronymique par son cessionnaire peut-elle être sanctionnée par sa déchéance pour usage déceptif ?

May 30, 2024
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Nouveau rebondissement dans l’affaire Castelbajac qui oppose le créateur au nom éponyme à la société PMJC relatif à la demande en déchéance des marques patronymiques cédées à cette dernière par le créateur. Dans un arrêt en date du 28 février 2024 (Cass. com., 28 févr. 2024, n° 22-23.833), la chambre commerciale de la Cour de cassation a adopté une position qui semble contraire à celle des juridictions européennes, sans pour autant trancher définitivement le litige puisqu’elle invite le juge européen à se prononcer sur la question de la déchéance pour usage déceptif d’une marque patronymique.

Pour rappel, dans le cadre du redressement judiciaire de la société Jean-Charles de Castelbajac et la reprise de celle-ci par la société PMJC, les marques verbales « JC de Castelbajac » et « Jean-Charles de Castelbajac » avaient été cédées à la société cessionnaire en 2012.

Parallèlement à cette cession, la société PMJC avait conclu un protocole de collaboration avec  M. de Castelbajac dans le cadre duquel ce dernier avait été nommé directeur artistique global des activités et des articles jusqu’au 31 décembre 2015. Il avait par ailleurs poursuivi son activité artistique par le biais de la société Castelbajac Creative.

A la fin de leur collaboration, estimant que M. de Castelbajac se livrait à des actes de contrefaçon de marques et de concurrence déloyale et parasitaire, la société PMJC l’a assigné devant le Tribunal judiciaire de Paris. En réponse, M. de Castelbajac a formé une demande reconventionnelle de déchéance des marques qui a été rejetée le 21 juin 2018. Cette décision de première instance fut infirmée par la Cour d'appel de Paris le 12 octobre 2022 reconnaissant que l'usage des marques était déceptif ce qui entraina la déchéance des droits de la société PMJC sur les marques litigieuses.

La société PMJC a formé un pourvoi en cassation contre cette décision à l’occasion duquel la Cour a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) concernant le caractère déceptif des marques patronymiques.

  • La recevabilité de l’action en déchéance de marque pour déceptivité en présence d’une faute du cessionnaire

Dans un premier temps, la Cour de cassation examine le premier moyen tendant à faire constater l’irrecevabilité de la demande de déchéance de marque au visa de l’article 1630 du Code civil selon lequel « celui qui doit garantie ne peut évincer ». En effet, s’il était de jurisprudence constante que l’action en déchéance de marque du cédant à l’encontre du cessionnaire devait être déclarée irrecevable, la cour d’appel avait retenu une solution opposée au cas d’espèce affirmant que « le manquement à la garantie d'éviction ne constitue pas une irrecevabilité à agir du demandeur, mais une éventuelle faute distincte ».

A cet égard, la Cour de cassation confirme cette analyse en rappelant que si « le cédant de droits portant sur une marque (étant tenu à une garantie d’éviction) […] n’est pas recevable en une action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de cette marque, qui tend à l'éviction de l'acquéreur (Com., 31 janvier 2006, pourvoi n° 05-10.116, Bull. 2006, IV, n° 27) », « la garantie au profit du cessionnaire cesse lorsque l'éviction est due à sa faute ». En d’autres termes, la société PMJC n’était pas fondée à soulever l’irrecevabilité de l’action en déchéance de marque alors même qu’elle avait eu un comportement fautif.

Sur l’appréciation de cette faute, la Cour de cassation rappelle que pour son maintien « la marque ne doit pas être exploitée dans des conditions de nature à tromper effectivement le public ou à créer un risque grave de tromperie (CJCE, 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, point 41) ». Au cas d’espèce, l’action en déchéance pour déceptivité se fondait effectivement sur une exploitation fautive des marques cédées dans des conditions de nature à laisser croire au public que M. de Castelbajac était l’auteur des créations sur lesquelles les marques étaient apposées.

Partant, la faute de la société PMJC étant caractérisée, cette dernière ne pouvait valablement se prévaloir du manquement à la garantie d'éviction de M. de Castelbajac pour faire juger irrecevable son action en déchéance de marque.

En écartant l’irrecevabilité de l’action en déchéance de marque par le cédant, la Cour de cassation semble ouvrir la voie à une nouvelle exception à la règle selon laquelle « celui qui doit garantie ne peut évincer » lorsque l’action en déchéance de marque est fondée sur un comportement fautif du cessionnaire survenu postérieurement à la cession.

  • Le renvoi préjudiciel de la question sur la déchéance pour usage déceptif d’une marque patronymique

Le pourvoi formé par la société PMJC contestait la reconnaissance par la cour d'appel de l'usage déceptif des deux marques patronymiques. Elle s’appuyait à cet égard sur la position de la jurisprudence européenne antérieure (voir en ce sens l’arrêt Elizabeth Emanuel - CJCE 30 mars 2006, aff. C-259/04), selon laquelle la validité d’une marque ne peut être affectée au seul motif qu’une société exploite une marque patronymique de manière à faire croire aux consommateurs que le créateur participe toujours à la création des produits, quand bien même ce comportement constituerait une manœuvre dolosive. Partant, cette position des juges européens ferait obstacle à l’action en déchéance de la marque pour usage déceptif.

De son coté, la cour d'appel justifiait sa décision en arguant que l’exploitation des marques patronymiques par la société PMJC était de nature à faire croire au consommateur que les produits étaient toujours conçus sous la direction artistique de M. de Castelbajac. En effet, alors que la Cour de Justice avait jugé que « le titulaire d’une marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque ne peut, en raison de cette seule particularité, être déchu de ses droits au motif que ladite marque induirait le public en erreur », la cour d’appel considérait que cela ne s’opposait pas à la possibilité de prononcer la déchéance de la marque patronymique dont l’exploitation était assortie de manœuvres dolosives telles que qualifiées en l’espèce. Partant, cette exploitation trompeuse devait être sanctionnée par la déchéance de ces marques.

Sur ce point, la Cour de cassation s’en remet à la Cour de Justice de l’Union Européenne en lui adressant la question suivante : « Se pose ainsi la question de savoir si les articles 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE et 20, sous b), de la directive (UE) 2015/2436 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent au prononcé de la déchéance d’une marque portant sur le nom de famille d’un créateur en raison de son exploitation postérieure à la cession dans des conditions de nature à faire croire de manière effective au public que le créateur, dont le nom de famille constitue la marque, participe toujours à la création des produits de cette marque alors que tel n’est plus le cas ».

En d’autres termes, la Cour s’interroge sur le point de savoir si l’exploitation d’une marque patronymique de manière à faire croire au consommateur que son créateur participe toujours à la création des produits de cette marque peut être sanctionnée par sa déchéance.

L’éclairage attendu qu’apportera la CJUE sur ce point sera l’occasion pour cette dernière de revenir sur sa propre jurisprudence. Surtout, il permettra d’apporter une réponse à l’incertitude et la précarité pesant sur le cessionnaire d’une marque patronymique. En effet, l’exploitation d’une telle marque par une entreprise est vecteur d’une certaine notoriété indissociable du porteur du patronyme qui fait sa valeur économique et dont le cessionnaire entend bénéficier lorsqu’il procède à son acquisition. Or, la frontière entre l’exploitation normale et déceptive d’une marque patronymique peut se révéler très poreuse dans la mesure où le consommateur peut légitimement penser que les produits vendus sous cette marque ont été créés par le créateur éponyme. Si la Cour est amenée à se prononcer en faveur de la déchéance pour usage déceptif de la marque patronymique par son cessionnaire, cela renforcerait la précarité pesant sur les cessionnaires de telles marques et pourrait ouvrir la voie à une reconnaissance quasi systématique de la déceptivité des marques patronymiques cédées, sanctionnée par leur déchéance. La reconnaissance d’une exploitation explicitement dolosive ou trompeuse de la marque se jouerait en tout état de cause sur le terrain de la preuve.

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