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Vie privée et licenciement disciplinaire

Vie privée et licenciement disciplinaire

Même s’ils sont racistes et xénophobes, les emails privés envoyés via la messagerie professionnelle ne justifient pas le licenciement d’un salarié

May 13, 2024
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Dans cette affaire soumise à la Cour de cassation, une salariée d’une Caisse Primaire d’Assurance Maladie avait été licenciée pour faute grave pour avoir envoyé à certains de ses collègues, via sa messagerie professionnelle, des messages identifiés comme étant personnels et confidentiels et contenant des propos racistes et xénophobes. L’employeur en a eu connaissance suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires.  Une enquête a été menée en interne qui a révélé que d’autres emails de même nature avaient été envoyés par cette même salariée.

A titre d’exemple, le dernier email adressé par la salariée, rédigé sous forme de poème :

« (…) Tes fistons cambriolent,

D’autres plus marioles

Sont dans la fumerolle

Et roulent en belles bagnoles.(…)

Tu es couvert par la Sécu.

Tu as en plus la CMU,

Et tu restes à l’affût

Tu rêves en plus d’être élu (…)

La France n’est pas biculturelle

Vous êtes notre érésipèle

Plus même, nos écrouelles.

IL J K L N’oubliez pas de faire suivre…!! »

Ce poéme était accompagné de trois images :

  • une Marianne brandissant le drapeau français avec les slogans : « J’aime l’égalité », « Je combats l’Islam », « Ni voiles ni burqas », « Vive la république laïque »,
  • un dessin représentant un personnage de type oriental à qui on met « un coup de pied aux fesses»,
  • la cocarde tricolore.

La salariée a saisi la juridiction prud’homale afin de contester le bien fondé de son licenciement au motif que les faits reprochés relevaient de sa vie privée.

La Cour d’appel lui a donné gain de cause, considérant que « nonobstant leur caractère manifestement raciste et xénophobe », ces messages (i) étaient privés et (ii) n’avaient pas vocation à devenir publics, ajoutant que même si la salariée était soumise à un devoir de neutralité dans le cadre de ses fonctions, elle pouvait user de sa liberté d’expression et exprimer ses opinions dans un cadre privé dès lors que dans le cadre de son activité professionnelle elle ne tenait aucun propos raciste ou xénophobe (Cour d’appel, Toulouse, 4e chambre, 2e section, 26 Novembre 2021, n° 19/04850).

L’employeur a formé un pourvoi en cassation.

En vain.

Réitérant sa jurisprudence constante, la Cour de cassation a rappelé dans sa décision du 6 mars 2024 qu’ « un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail »

S’appuyant sur les constats faits par la Cour d’appel, à savoir que les messages s’incrivaient dans le cadre d’échanges privés à l’intérieur d’un groupe de personnes (au moins deux salariés d’après l’arrêt de la Cour d’appel), que ces messages n’avaient pas vocation à devenir publics et qu’ils n’avaient été connus par l’employeur que suite à une erreur d’envoi de l’un des destinataires, la Cour de cassation a approuvé la décision de la Cour d’appel.

La Cour de cassation a également souligné dans sa décision, reprenant l’analyse de la Cour d’appel, que :

  • la lettre de licenciement ne mentionnait pas que les opinions exprimées par la salariée dans ces emails auraient eu une incidence sur son emploi ou ses relations professionnelles,
  • l'employeur ne versait aucun élément tendant à prouver que les écrits de la salariée auraient été connus en dehors du cadre privé et à l'extérieur de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et que son image aurait été atteinte,
  • si le règlement intérieur interdisait aux salariés d’utiliser pour leur propre compte et sans autorisation préalable les équipements informatiques appartenant à la caisse, un salarié peut toutefois utiliser sa messagerie professionnelle pour envoyer des messages privés dès lors qu'il n'en abuse pas. Or en l'espèce, la salariée avait envoyé neuf messages privés en l'espace de onze mois, ce qui n’a pas été jugé comme excessif, indépendamment de leur contenu.

La solution peut surprendre. En effet, l’enquête menée préalablement à son licenciement avait révélé que la salariée avait déjà adressé à des collègues de travail et à des destinataires inconnus, depuis sa messagerie professionnelle d’autres mails visant à la provocation, à la discrimination, à la haine raciste et xénophobe à l’encontre de la communauté musulmane.(…). Et la salariée concluait son dernier email litigieux par « N’oubliez pas de faire suivre… !! » Son souhait était donc manifestement de donner à ses émails une large publicité. Est-il justifié alors de considérer qu’ils relèvent de la vie privée ? Avec au surplus le risque que ces emails parviennent à des collaborateurs de l’entreprise qu’ils pourraient heurter ? Est-ce qu’il ne relève pas de l’obligation de sécurité de l‘employeur que de prévenir un tel risque ?

De tels arguments n’ont cependant pas été soulevés par l’employeur pour légitimer le licenciement.

Ainsi, selon la Cour de cassation, , la seule teneur des propos tenus via la messagerie professionnelle – dès lors qu’ils demeurent dans un cadre privé, ne justifie pas un licenciement.

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