Insights

Réduction des tarifs d’achat photovoltaïques : une possible indemnisation pour les producteurs ?

Réduction des tarifs d’achat photovoltaïques : une possible indemnisation pour les producteurs ?

Feb 18, 2021
Download PDFDownload PDF
Print
Share
Français

Summary

La responsabilité de l’Etat en raison du préjudice subi du fait de la réduction tarifaire décidée par le législateur se pose. L’adoption prochaine des textes d’application devrait permettre d’éclairer davantage la situation.

Si la modification d’un contrat en cours d’exécution s’analyse en principe sur un terrain contractuel, il en va différemment lorsqu’elle est le fait non pas de l’une des parties mais du législateur. Tel est le cas, en l’espèce, de la mesure de réduction des tarifs d’achat de l’énergie photovoltaïque récemment adoptée aux termes de la loi de Finances pour 2021.

1. Le contexte juridique.

Pour rappel, la loi de Finances pour 2021 comporte un article 225 qui prévoit la réduction du tarif prévu par les contrats d’achat d’énergie conclus pour les installations photovoltaïques et thermodynamiques d’une puissance supérieure à 250 kWc en application des arrêtés tarifaires du 10 juillet 2006, du 12 janvier 2010 ou du 31 août 2010. Cette réduction doit conduire à ce que « la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation »[1].

Ces contrats d’achat, pour la plupart qualifiés de contrats administratifs[2], sont conclus entre EDF ou les entreprises locales de distribution et les producteurs d’énergie.

Si la réduction des tarifs avait été décidée par EDF, il eût été possible d’analyser les pistes classiques de responsabilité contractuelle tel que le pouvoir de modification unilatérale de l’Administration, qui suppose traditionnellement l’indemnisation du cocontractant[3]. Tel n’est pas le cas, en l’occurrence. La modification des contrats d’achat d’énergie photovoltaïque est ici le fait de la loi dont la conformité à la Constitution a d’ailleurs été reconnue par le Conseil constitutionnel[4].

Bien que les textes d’application ne soient pas encore adoptés et que les effets de cette mesure ne peuvent donc être évalués avec précision à ce stade, la question de la responsabilité de l’Etat et d’une possible indemnisation des producteurs se pose d’ores-et-déjà en raison de ce changement brutal de législation.

2. Une possible action indemnitaire des producteurs.

Rappelons d’abord qu’EDF n’aura pas d’autre choix que de se conformer à la mesure de réduction, dès lors qu’elle est tenue d’appliquer les tarifs d’achat fixés par arrêtés ministériels, comme l’a récemment précisé le Conseil d’Etat[5]. Il ne serait donc pas envisageable de reprocher à EDF de faire application de la loi.

Il en va tout autrement de la responsabilité de l’Etat. :En effet, selon une jurisprudence de principe, ce n’est que pour des motifs d’ordre public que la loi peut autoriser l’application d’une norme nouvelle à des situations contractuelles en cours à sa date d’entrée en vigueur[6]. Si l’application de la loi nouvelle cause un préjudice au cocontractant de l’administration, celui-ci pourra solliciter une indemnisation, la jurisprudence administrative ayant admis de longue date la possibilité d’engager la responsabilité de l’Etat du fait des conséquences dommageables d’une loi[7].

Cette action ne sera pas fondée sur la responsabilité contractuelle de l’autre partie au contrat (EDF ou les entreprises locales de distribution dans notre cas) mais bien sur la responsabilité extracontractuelle de l’Etat[8].

Les exemples d’application sont rares mais les conditions de mise en œuvre de cette action indemnitaire sont relativement claires et au nombre de deux.

2.1. Dans un premier temps, le juge vérifie que le législateur n’a pas entendu exclure toute indemnisation des préjudices que sa mise en œuvre est susceptible de causer. Autrement dit, si l’hypothèse d’une indemnisation a été écartée ab initio lors de l’adoption de la loi, le juge ne pourra pas condamner l’Etat à indemniser les producteurs. A noter que cette exclusion s’apprécie in concreto et ne peut se déduire du seul silence de la loi sur ce point[9]

En l’espèce, la loi de Finances pour 2021 ne se prononce pas sur une éventuelle indemnisation et la volonté du législateur d’exclure toute indemnisation n’a pas été expressément annoncée au cours de la procédure d’adoption de la mesure. Un débat pourrait donc avoir lieu sur ce sujet, quand bien même le rejet de certains amendements qui prévoyaient des mécanismes d’indemnisation et/ou de compensation ont été rejetés[10].

2.2 Dans un second temps, le préjudice subi par le(s) requérant(s) doit être « anormal » et « spécial ». Cela exclut d’emblée l’indemnisation d’un préjudice qui se révèlerait modeste et/ou qui serait subi par tous.Pour permettre d’engager la responsabilité de l’Etat, le préjudice résultant de la loi doit ainsi revêtir une importance particulière et ne concerner qu’une fraction de la population.

En l’occurrence, la situation des producteurs photovoltaïques semble répondre à ces conditions. Le critère de spécialité ne fait guère de doute, la réduction des tarifs d’achat étant circonscrite aux centrales photovoltaïques d’une puissance supérieure à 250 kWc. Il en va de même du critère de l’anormalité dans la mesure où cette réforme a pour effet de bouleverser l’équilibre financier de ces projets. A cet égard, le mécanisme de la « clause de sauvegarde » issu de la réforme ne devrait pas changer les termes du débat.


[1] Article 225e la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

[2] Depuis 2010, voir article L. 314-7 du code de l’énergie et TC, 13 décembre 2010, Sté Green Yellow, req. n° C3800, publié au Rec.

[3] CE, 11 mars 1910, Cie générale française des tramways, req. n° 16178, publié au Rec.

[4] Cons. const., 28 décembre 2020, Loi de finances pour 2021, déc. n° 2020-813 DC. Cela exclut de facto la piste contentieuse de la responsabilité du fait des lois déclarées contraires à la Constitution, récemment dégagée par le Conseil d’Etat (voir CE, 24 décembre 2019, req. nos425981, 425983 et 428162).

[5] CE, 22 janvier 2020, Sté Corsica Sole et Corsica Sole 3, req. n° 418737, mentionné aux Tables du Rec.

[6] CE, Ass., 24 mars 2006, Sté KPMG, req. n° 28840, publié au Rec.

[7] CE, 14 janvier 1938, SA des produits laitiers La Fleurette req. n° 51704, publié au Rec.

[8] Voir en ce sens, M. Ubaud-Bergeron, Contrat administratif, fait du prince et responsabilité administrative, AJDA 2019, p. 2553.

[9] CE, 2 novembre 2005, Sté coopérative agricole Ax’ion, req. n° 266564, publié au Rec.

[10] On peut citer, par exemple, le rejet d’un amendement n° II-CF1139 présenté par le député Julien Aubert, proposant la réduction de la durée des contrats d’achat « de 20 à 13 ans moyennant l’indemnisation de leurs titulaires » ou encore le rejet d’un sous-amendement n° 1291 présenté par le député Eric Woerth, proposant plusieurs options de réduction dont une option de baisse avec rallongement de la durée du contrat afin de lisser les effets de la réduction.

Related Capabilities

  • Environment

  • Regulation, Compliance & Advisory

  • Energy Transition

Meet The Team

Jean-Pierre Delvigne
+33 (0) 1 44 17 77 58

Meet The Team

Jean-Pierre Delvigne
+33 (0) 1 44 17 77 58

Meet The Team

Jean-Pierre Delvigne
+33 (0) 1 44 17 77 58
This material is not comprehensive, is for informational purposes only, and is not legal advice. Your use or receipt of this material does not create an attorney-client relationship between us. If you require legal advice, you should consult an attorney regarding your particular circumstances. The choice of a lawyer is an important decision and should not be based solely upon advertisements. This material may be “Attorney Advertising” under the ethics and professional rules of certain jurisdictions. For advertising purposes, St. Louis, Missouri, is designated BCLP’s principal office and Kathrine Dixon (kathrine.dixon@bclplaw.com) as the responsible attorney.