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Incompétence du juge des référés pour ordonner la fermeture d’un site internet frauduleux
The juge des référés (summary proceedings judge) does not have jurisdiction to order a host to take measures to prevent or stop damage caused by a fraudulent website
May 30, 2024Dans un arrêt en date du 2 avril 2024 (Tribunal judiciaire de Paris, 2 avril 2024, RG n° 24/51659), le Président du Tribunal Judiciaire de Paris confirme qu’il ne peut plus être saisi en référé dans le cadre d’une action à l’encontre d’un hébergeur visant à obtenir la suppression d’un site internet frauduleux conformément à la modification de la loi pour la confiance dans l’économie du numérique de 2004 (loi LCEN) intervenue en 2021. Saisi en référé pour la prescription de mesures de nature à faire cesser un dommage occasionné par un site internet usurpant l’identité d’une banque, le président du tribunal a jugé cette demande irrecevable du fait de son incompétence.
Au cas d’espèce, le nom de domaine « delubac.nellaorganics.com » était utilisé frauduleusement à titre de serveur relais renvoyant au nom de domaine « beautyfrench.com » qui usurpait l’identité de la Banque DELUBAC ET CIE. Cette usurpation se matérialisait par l’exploitation d’une fausse page de connexion au site de la banque dans l’objectif de tromper ses clients et de leur soutirer leurs coordonnées bancaires.
Pour obtenir la cessation de ces agissements, l’établissement bancaire a assigné en référé les sociétés OVH et M.J Associés, hébergeurs du site frauduleux, aux fins d’obtenir la suppression du nom de domaine beautyfrench.com sous astreinte de 100.000 euros par jour de retard et le retrait de ce site internet. La SAS OVH en qualité de défenderesse a fait valoir que le juge saisi en référé devait se déclarer incompétent au profit du juge du fond.
La question était donc de savoir si le juge des référés était compétent pour prescrire à un hébergeur des mesures visant à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par un site internet frauduleux qu’il héberge.
L’établissement bancaire avait fondé sa saisine sur l’article 835 du code de procédure civile permettant au juge de « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite » ainsi que sur l’article 6, I. 8. de la LCEN.
Cet article, encadrant la responsabilité des hébergeurs, permet en effet de solliciter le juge aux fins de voir prescrire à l’hébergeur « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne. Or, dans sa version antérieure, l’article 6 I. 8. prévoyait la possibilité de saisir le juge « en référé ou sur requête » pour obtenir la prescription des mesures visant à prévenir ou faire cesser le dommage. Tel n’est plus le cas depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 modifiant l’article 6. I. 8 de la loi LCEN qui prévoit désormais que ces mesures peuvent être prescrites par « le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond ».
Cette modification du texte supprime donc la compétence du juge des référés en la matière au profit de celle du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond. Introduite par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 publié dans le cadre de l’importante réforme de la procédure civile, la procédure accélérée au fond affiche comme objectif de permettre l’obtention d’un jugement au fond dans des délais rapides. Ainsi, contrairement au référé qui statue à titre provisoire, la décision rendue en procédure accélérée au fond est définitive. Il s’agit d’une procédure contradictoire orale, portée devant le juge par voie d’assignation, mais qui ne peut être envisagée que dans les cas expressément prévus par la loi ou le règlement (article 839 du code de procédure civile).
En l’espèce, le tribunal relève que la demande de la banque DELUBAC ET CIE a précisément pour finalité « la cessation d'un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne », demande qui relève donc « des pouvoirs du juge du fond statuant selon la procédure accélérée au fond » en application de l’article 6 I.8. de la LCEN.
En conséquence, le juge saisi en référé se déclare incompétent pour la prescription des mesures demandées par la banque, qui devra, si elle souhaite obtenir la fermeture du site litigieux, réitérer sa demande devant le président du tribunal judiciaire statuant en procédure accélérée au fond.