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Participation à une entente anticoncurrentielle et licenciement pour faute grave
La participation d'un salarié sensibilisé au droit de la concurrence à une entente anticoncurrentielle à l'insu de sa hiérarchie justifie son licenciement pour faute grave
May 23, 2024Le 27 février 2024, la Cour d’appel de Nîmes a confirmé qu’un salarié peut être licencié pour faute grave en raison de sa participation à une entente anticoncurrentielle.
Si le risque de sanction des entreprises pour pratiques anticoncurrentielles est bien connu, cet arrêt rappelle que les salariés sont également exposés à des sanctions disciplinaires en cas de participation à une entente anticoncurrentielle, auxquelles pourront également s’ajouter des poursuites pénales.
Il permet également de souligner l’importance pour les entreprises de s’armer de programmes de compliance en droit de la concurrence pour limiter le risque de participation de l’entreprise à une pratique anticoncurrentielle.
Le contexte du licenciement pour faute grave
Dans les faits, un salarié avait pris part à une entente anticoncurrentielle impliquant son employeur et trois de ses concurrents.
La participation du salarié à cette entente avait débuté lorsqu’il était en poste au sein de l’une des entreprises concurrentes de son employeur et partie à l’entente et s’était poursuivie après son embauche par son nouvel employeur en qualité de chef de service travaux.
C’est finalement à la suite d’opérations de visites et saisies diligentées par l’Autorité de la concurrence (consécutives à deux demandes de clémence), que son employeur a procédé à une enquête interne mettant en évidence la participation de l’entreprise à une entente anticoncurrentielle, par l’entremise du salarié.
Le salarié a finalement été licencié pour faute grave, après avoir admis sa participation à l’entente et reconnu être l’auteur de plusieurs échanges de courriels et SMS caractérisant les faits incriminés.
Le licenciement pour faute grave est justifié par la participation du salarié, sensibilisé à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles, à une entente à l’insu de sa hiérarchie
En droit du travail, l’appréciation de la gravité d’un manquement d’un salarié nécessite de prendre en considération le contexte, la nature et le caractère répété des agissements, les fonctions exercées par le salarié, son ancienneté, les éventuels manquements antérieurs et les conséquences de ces agissements pour l’employeur.
En tenant compte de ces éléments, la Cour d’appel de Nîmes a caractérisé la gravité du manquement du salarié après avoir déterminé que (i) le salarié avait participé à une entente anticoncurrentielle à l’insu de sa hiérarchie et que (ii) les preuves du manquement du salarié à ses obligations contractuelles avaient été apportées par son employeur au moment de son licenciement.
(i) Sur la participation du salarié à l’entente anticoncurrentielle à l’insu de sa hiérarchie
A titre liminaire et ainsi que la Cour d’appel le rappelle, le fait que le salarié n’ait pas initié une entente anticoncurrentielle est sans incidence sur la régularité du licenciement : la simple participation à une entente suffit.
Partant de ce postulat, la Cour d’appel s’est ensuite attachée à déterminer si l’entreprise était informée de la pratique en cause, circonstance de nature à ôter aux faits reprochés leur caractère fautif. Au terme de son analyse, la Cour a reconnu que l’employeur n’avait pas connaissance, avant l’enquête interne, des pratiques litigieuses mises en œuvre par le salarié dès lors que :
- Le salarié bénéficiait d’une délégation de pouvoir, lui conférant une « autonomie certaine » dans ses fonctions et dans la gestion de son agence.
- La pratique litigieuse, qui consistait en la réponse coordonnée à des appels d’offres, n’impliquait pas matériellement et financièrement la validation de la hiérarchie du salarié.
- Le salarié a procédé à certains échanges depuis l’adresse email de son épouse, caractérisant une volonté de dissimulation de la pratique à l’égard de sa hiérarchie.
(ii) Sur la preuve du manquement du salarié à ses obligations contractuelles
Comme évoqué supra, la détection par l’employeur de l’entente anticoncurrentielle a fait suite aux perquisitions réalisées par l’Autorité de la concurrence au cours desquelles un nombre important de documents avait été saisi, tels que des notes manuscrites, des courriels, messages téléphoniques et des correspondances courriers.
En l’espèce, l’employeur avait justifié le licenciement pour faute grave de son salarié en se fondant notamment sur :
- Des éléments matériels, à savoir des courriels et de SMS impliquant le salarié, dont certains étaient même antérieurs à son embauche dans l’entreprise.
- La sensibilisation du salarié à l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles par (i) la délégation de pouvoir du salarié selon laquelle le délégataire s’engageait à respecter le Code éthique du Groupe lequel faisant référence à l’interdiction de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles, et (ii) le règlement intérieur de la société, faisant également référence à l’interdiction de se livrer à des pratiques anticoncurrentielles.
Sur la base de ces éléments, la Cour d’appel conclut que :
- La participation du salarié à une entente était constitutive d’une violation des obligations résultant du contrat de travail, dont la gravité résultait également de ses fonctions exercées et de son niveau de responsabilité au sein de la société.
- Il n’était pas nécessaire de se référer aux éléments de preuve postérieurs au licenciement apportés par l’employeur (la notification des griefs de l’Autorité de la concurrence de 2022, ainsi que sa décision définitive de 2023).
Ce cas topique n’aura malheureusement pas permis d'influer sur la pratique décisionnelle de l’Autorité, qui n'a pas eu l'opportunité de se prononcer, dans le cadre de sa décision au fond, sur le principe de responsabilité de l'entreprise pour les pratiques mises en œuvre de son salarié. En définitive, le principe suivant demeure en droit de la concurrence : une entreprise ne peut être exonérée de sa responsabilité au motif que le comportement incriminé est le fruit d'actes isolés d'un salarié dont elle n'avait pas connaissance.
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