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Adoption de la Directive (UE) 2024/1226 sur la pénalisation des violations des sanctions adoptées par l’UE
Quels sont les enjeux de la transposition en droit français ?
Jun 04, 2024Le 19 mai, la Directive (UE) 2024/1226 relative à la définition des infractions pénales et des sanctions en cas de violation des mesures restrictives prises par l’Union Européenne, adoptée par le Conseil de l’UE le 24 avril, est entrée en vigueur.
En harmonisant le droit des Etats membres sur ce point, l’objectif est de renforcer l’efficacité des mesures restrictives de l’UE. En effet, jusqu’à présent les Etats membres n’étaient pas tenus d’ériger la violation de ces mesures en infractions pénales.
Désormais, chaque Etat membre a l’obligation de prévoir la poursuite pénale des comportements constituant une infraction pénale au sens de la Directive (UE) 2024/1226 (e.g., commerce de biens ou services dont l’importation ou l’exportation sont interdits ou restreints ; mise à disposition de fonds ou de ressources économiques à des personnes sanctionnées ; contournement des mesures restrictives de l’UE), sous réserve de la possibilité d’appliquer un seuil pour les transactions ou des activités d’une valeur inférieure à 10 000 EUR. Par ailleurs, une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans, outre les amendes et sanctions complémentaires (e.g., l'interdiction d'exercer au sein d’une société une fonction dirigeante du même type que celle utilisée pour commettre l'infraction pénale), doit systématiquement être prévue à l’encontre des personnes physiques et la peine d’amende encourue par les personnes morales doit être de 1 à 5 % de leur chiffre d'affaires total ou de 8 à 40 millions d’euros en fonction de l'infraction pénale et de la méthode de calcul, outre les peines complémentaires (i.e., exclusion des financements publics ; placement sous contrôle judiciaire).
Les Etats membres ont jusqu’au 20 mai 2025 pour transposer ces nouvelles dispositions.
Quel est l’état du droit français en la matière et faut-il s’attendre à de grands changements dans les mois à venir ?
En l’état actuel du droit français, la violation des mesures restrictives prises par l’Union européenne est d’ores et déjà pénalement sanctionnée par l’article 459 du Code des douanes qui prévoit une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende égale « au moins au montant et au plus au double de la sommes sur laquelle a porté l’infraction » (en France, toutefois, la violation des mesures restrictives ne donne quasiment jamais lieu à des poursuites et, à notre connaissance, aucune condamnation pénale n’a encore été prononcée. A cet égard, voir notre article sur le sujet paru dans notre gazette du 10 juillet 2023).
De ce point de vue, le droit français est donc déjà conforme aux exigences de la directive (UE) 2024/1226 (une légère révision sera néanmoins nécessaire pour alourdir la peine d’amende applicables aux personnes morales).
La véritable nouveauté résidera en revanche dans la caractérisation d’une infraction en raison d’une négligence grave.
En effet, si la Directive exige que les infractions pénales soient commises intentionnellement (cf. Considérant 4), elle précise que le commerce de biens ou de services dont l’importation ou l’exportation sont interdits ou restreints constitue également une infraction pénale lorsqu’il est réalisé par négligence grave, « au moins lorsque ce comportement est lié à des articles figurant sur la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne ou à des biens à double usage énumérés aux annexes I et IV du règlement (UE) 2021/821 » (Article 3).
Toute la question sera donc de savoir comment la notion de « négligence grave » sera transposée puis interprétée en droit français, cette notion étant pour l’heure inexistante en droit pénal français.
Ce n’est pas la première fois que le législateur européen fait référence à la notion de « négligence grave ». En effet, la 5èmedirective anti-blanchiment (Directive (UE) 2018/1673 du 23 octobre 2018) prévoit que « les États membres devraient pouvoir, par exemple, prévoir qu’un acte de blanchiment de capitaux constitue une infraction pénale s’il a été commis par imprudence ou à la suite d’une négligence grave » (considérant 13). Toutefois, lors de la transposition de la directive, le législateur français a maintenu le caractère strictement intentionnel du délit de blanchiment (à l’inverse du législateur espagnol et du législateur belge) et n’a donc pas profité de cette occasion pour intégrer la notion de « négligence grave » au droit pénal français.
A ce jour, en droit français, la notion de « négligence grave » n’est visée qu’en matière de responsabilité civile s’agissant des opérations de paiement non autorisés (articles L.133-16 et L.133-19 du Code monétaire et financier). Dans ce contexte, la négligence est qualifiée de « grave » lorsqu’il est établi que le dommage aurait pu être évité ou amoindri avec un peu de discernement, lequel ne s’apprécie pas en considération de la personne et de ses qualités, mais du comportement moyen d’un individu.
Certes, en matière pénale, l’article 121-3, alinéa 3 du Code pénal fait référence à la notion de « négligence » en disposant qu’« il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Toutefois, en l’absence de critères légaux plus précis, la difficulté dans la pratique est de déterminer un seuil entre la négligence simple et la négligence grave ou caractérisée. A la lecture des arrêts rendus en la matière, il appert que la gravité n’est souvent pas tant celle du comportement que de ses conséquences.
Aussi, que faut-il en déduire s’agissant de la future transposition de la directive (UE) 2024/1226 ?
- Que seules les conséquences de la violation (g., en fonction du montant des sommes en jeu) détermineront la culpabilité du prévenu ? Cela n’est pas souhaitable eu égard à la sévérité des sanctions encourues.
- Sur le modèle de la responsabilité civile en matière de fraude aux moyens de paiement, sera-t-il possible de se référer à un comportement moyen attendu des justiciables ? Cela est peu probable s’agissant de la mise en œuvre des mesures restrictives prises par l’Union Européenne qui, par nature complexe, nécessite généralement le déploiement d’un dispositif sur mesure adapté au secteur et aux spécificités de l’entité.
Compte tenu de l’enjeu que représente la création d’une telle infraction non-intentionnelle pour les entreprises françaises – qui pour rappel, sont toutes sans exception soumises à l’obligation de mettre en œuvre les mesures restrictives prises par l’Union Européenne – il faut souhaiter que le législateur français mesurera au moment de la transposition de la directive (UE) 2024/1226 l’importance de définir avec précision la notion de « négligence grave », sauf à placer les justiciables dans une énième situation d’insécurité juridique en cette matière…
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