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Interdiction des ventes en ligne dans un réseau de franchise

Interdiction des ventes en ligne dans un réseau de franchise

L'Autorité de la concurrence sanctionne le franchiseur De Neuville

May 23, 2024
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Le 6 février 2024, l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité») a infligé au chocolatier De Neuville une amende de 4 millions d’euros pour avoir mis en œuvre des ententes verticales. Cette décision est intéressante à plusieurs égards :

  • L’Autorité confirme par cette décision que la restriction générale des ventes en ligne d’un distributeur est anticoncurrentielle quelque que soit le type de réseau de distribution concerné, y compris la franchise.
  • Elle retient toutefois une méthode de calcul de la sanction à l’égard de De Neuville plus clémente que celle de sa pratique décisionnelle récente en matière de restriction des ventes en ligne dans un réseau de distribution.
  • Elle relève enfin que le système de distribution mis en place par le franchiseur via les « règles déontologiques » du réseau applicables à la clientèle professionnelle créait un dispositif anticoncurentiel de répartition des ventes auprès de la clientèle professionnelle entre franchisés, alors même que le contrat de franchise ne prévoyait aucune exclusivité s’agissant de cette clientèle.

I. L’Autorité étend aux réseaux de franchise sa pratique décisionnelle prohibant toute restriction des ventes en ligne

La décision commentée fait suite à deux décisions remarquées, rendues les 11 et 19 décembre 2023 (décisions n°23-D-12, Thés Mariage Frères et n°23-D-13, Rolex - voir la Paris Litigation Gazette du 14 février 2024), par lesquelles l’Autorité a rappelé que les fournisseurs ne peuvent restreindre l’utilisation effective d’internet par un distributeur, que ce soit dans le cadre d’un réseau de distribution « libre » (décision Thés Mariage Frères) ou d’un réseau de distribution sélective (décision Rolex).

L’Autorité s’intéresse ici au réseau de franchise mis en place par le chocolatier De Neuville et par lequel les franchisés exploitaient les points de vente physique de l’enseigne mais ne pouvaient vendre les produits en ligne qu’après autorisation préalable du franchiseur selon des critères qui n’étaient pas définis ou étaient trop restrictifs. Le franchiseur se réservait ainsi l’exclusivité des ventes sur internet.

Pour justifier la restriction des ventes en ligne, De Neuville mettait en avant (i) la nécessité de préserver l’unité de son réseau, (ii) la volonté de protéger son image de marque ainsi que (iii) l’importance des investissements réalisés dans son site internet, dont il pouvait légitiment se réserver l’exclusivité.

Aucun de ces arguments n’a convaincu l’Autorité. Celle-ci estime au contraire que la restriction des ventes en ligne :

  • n’est pas nécessaire à la mise en place d’un réseau de franchise, y compris lorsque le franchiseur accorde une exclusivité territoriale à ses franchisés,
  • ne peut être justifiée par la protection de l’image de marque du franchiseur, à l’instar d’un système de distribution sélective (suivant la jurisprudence Pierre Fabre de la Cour de justice (C-439/09, 13 octobre 2011) et rappelée récemment par l’Autorité dans la décision n°23-D-13, Rolex), et
  • n’était pas motivée en l’espèce par un supposé besoin de rentabiliser des investissements importants, qui n’apparaissent dans aucune stipulation contractuelle des contrats de franchise en cause.

Enfin, l’Autorité considère que la restriction des ventes en ligne mise en place par De Neuville a limité les ventes actives et passives des franchisés, sans que cette restriction n’ait engendré un quelconque gain d’efficience, empêchant ainsi tout bénéfice d’une exemption individuelle et par catégorie.

II. L’Autorité retient une méthode de calcul de l’amende sanctionnant la restriction des ventes en ligne moins sévère que celle issue de sa pratique décisionnelle récente

Dans sa décision Rolex, l’Autorité avait retenu un coefficient de gravité de 4% dans le calcul de la sanction pécuniaire à l’égard des pratiques d’interdiction de revente des produits en ligne (elle avait opté une détermination forfaitaire de la sanction dans sa décision Thés Mariage Frères).

En l’espèce, l’Autorité retient un coefficient gravité de « seulement » 1% pour le grief lié à la restrction des ventes en ligne, sans donner les raisons d’une telle divergence dans la détermination de la sanction. Cela est d’autant plus surprenant qu’en l’espèce, l’Autorité retient un coefficient de gravité de 3% s’agissant du grief relatif à la répartition des clients professionnels entre franchisés, sans justifier cette différence de traitement.

Une telle hétérogénéité, qui plus est non motivée, rend difficile la lisibilité de la pratique décisionnelle de l’Autorité quant au degré de gravité des restrictions de vente en ligne au sein d’un réseau de distribution.

III. L’Autorité sanctionne la répartition de la clientèle professionnelle entre franchisés par le franchiseur dès lors que celle-ci n’est pas spécifiquement prévue dans le contrat de franchise

L’Autorité sanctionne également De Neuville pour avoir créé un système de répartition des ventes à destination de la clientèle professionnelle entre ses franchisés, «en dépit de l’absence d’exclusivité contractuellement attribuée sur cette clientèle » (§110 et §139).

Son raisonnement tient en deux temps :

  • Elle relève tout d’abord que les stipulations contractuelles régissant les relations entre De Neuville et ses franchisés mentionnent que la clientèle professionnelle n’est couverte par aucune clause d’exclusivité. Elle en déduit que la clientèle professionnelle est soumise au « principe de libre concurrence au sein du réseau de franchise De Neuville » (§105).
  • Elle note ensuite qu’en dépit de cette liberté contractuelle laissée aux franchisés, De Neuville a édité et remis à chaque franchisé un manuel opératoire en vertu duquel ceux-ci ne pouvaient (i) démarcher la clientèle professionnelle hors de leur zone de chalandise, sauf à ce que cette zone ait été intégralement prospectée (limitation des ventes actives), ni (ii) honorer les demandes non sollicitées émanant de la clientèle professionnelle située sur la zone d’un autre franchisé, sauf avec l’accord de ce dernier (limitation des ventes passives).
  • L’Autorité en déduit que le dispositif élaboré par De Neuville, bien que contractuellement caractérisé par la libre concurrence, « établit en réalité un système de répartition des ventes » (§104) « ce qui a pour conséquence la restriction des ventes passives et des ventes actives des membres du réseau en dehors de leur zone de chalandise » (§263).
  • Cette décision rappelle l’importance pour les franchiseurs d’être vigilants dans la rédaction de leur manuel opératoire, en particulier lorsqu’aucune exclusivité territoriale n’est consentie aux franchisés.

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