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BCLP Paris – Antitrust and Distribution Newsletter – June 2022
Jun 09, 2022Summary
La loi Egalim 2, qui a pour objectif d’améliorer le revenu des agriculteurs en maximisant la transparence des relations commerciales, est entrée en vigueur le 18 octobre 2021. Huit mois plus tard, sa mise en œuvre est encore largement imparfaite, pour des raisons tant endogènes, du fait de la complexité du dispositif, qu’exogènes, du fait de la guerre en Ukraine et de l’inflation du cours des matières premières agricoles.
ETAT DES LIEUX DE L’APPLICATION DE LA LOI EGALIM 2
La loi Egalim 2 (« Egalim 2 »), entrée en vigueur le 18 octobre 2021, est le dernier dispositif en date qui tente de rétablir un équilibre dans les relations fournisseur / distributeur de la distribution alimentaire.
A l’issue des négociations commerciales pour 2022 et à l’aune des effets inflationnistes de la guerre en Ukraine (II), il convient de dresser un premier bilan de l’application d’Egalim 2 (I) et d’envisager l’avenir du dispositif (III).
PRINCIPAUX APPORTS D’EGALIM 2
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UNE MISE EN ŒUVRE IMPARFAITE, EXPLIQUEE PAR UN DISPOSITIF COMPLEXE
Un champ d’application matériel et géographique aux contours mal définis
La liste des produits alimentaires concernés par Egalim 2 s’adosse sur une nomenclature douanière européenne complexe, dont l’appréhension est rendue encore plus ardue du fait de l’exclusion de certains produits alimentaires communs, tels que les fruits, les boissons (alcooliques ou non), les céréales, etc.
De plus, certains produits, comme la farine, peuvent à la fois entrer dans le dispositif ou en être exclus, selon la nature de l’acheteur. Ces incohérences rendent très difficile la compréhension de la loi par les professionnels et en particulier les agriculteurs, contraints de jongler avec plusieurs corpus de règles.
La loi ne s’applique pas qu’aux relations avec les enseignes de la grande distribution : certaines dispositions concernent les fournisseurs et leurs « acheteurs ». Or, la notion « d’acheteur » couvre, outre les distributeurs, les hôtels et restaurants. A noter que le législateur a exclu les grossistes du dispositif, alors qu’ils représentent le principal pivot de la chaîne de distribution.
L’origine des produits alimentaires est quant à elle indifférente. Selon le ministère de l’Agriculture, Egalim 2 doit être interprétée comme une loi de police applicable aux produits alimentaires fabriqués à l’étranger s’il existe un lien de rattachement avec le territoire français (tels que le lieu de livraison du consommateur, le lieu d’établissement de l’acheteur, etc.). Cela concerne tant les produits agricoles livrés en France que les produits transformés à l’étranger et importés en France.
Le fournisseur étranger devra donc respecter les dispositions d’Egalim 2 pour ses activités en France, de même que le fournisseur français important des produits alimentaires étrangers.
Les mécanismes de transparence imposés par Egalim 2 ne rencontrent pas encore l’effet escompté
Afin de permettre la remontée de valeur vers l’agriculteur, Egalim 2 prévoit divers mécanismes destinés à limiter la pression des négociations sur les coûts des matières premières agricoles (« MPA »).
Entre le producteur agricole et le premier acheteur de MPA
Afin de renforcer la transparence des relations « amont », Egalim 2 prévoit notamment :
- L’obligation de la contractualisation écrite annuelle pour toutes les filières, avec une durée minimale de 3 ans (pouvant être étendue à 5 ans) ;
- L’obligation d’insérer une clause de révision automatique des prix fondée sur des indicateurs choisis par les parties.
Si l’intention du législateur est louable, ces nouvelles obligations pèsent lourdement sur l’agriculteur, qui est à présent contraint de proposer un modèle de contrat conforme à son acheteur.
Sanctions encourues en cas de manquement aux obligations « amont »Tout manquement à ces obligations est susceptible d’être sanctionné par une amende administrative d’un montant maximum équivalent à 2 % du chiffre d’affaires hors taxes du dernier exercice clos. |
Entre le fournisseur de produits alimentaires et le distributeur
Plusieurs mécanismes sont destinés à exclure de la part négociable du tarif du fournisseur le coût des MPA :
Dans ses CGV, le fournisseur doit, à sa discrétion:
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- Soit faire preuve de transparence en mentionnant la part que représentent les MPA dans le produit alimentaire vendu (tant en prix qu’en composition), pour chacune des MPA composant le produit (option 1) ou bien de manière agrégée, c’est-à-dire toutes MPA confondues (option 2) ;
- Soit faire certifier par un tiers indépendant que l’accord négocié par rapport à l’année n-1 répercute correctement la hausse des coûts des MPA (option 3).
A l’issue des premiers mois d’application d’Egalim 2, il apparaît que les deux options « de transparence » sont délaissées au profit du recours au tiers indépendant (option 3, favorisée par 70 % des fournisseurs), pour deux raisons :
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- D’abord, les options 1 et 2 contraignent le fournisseur à révéler, au moins partiellement, la construction de son tarif au distributeur, ce qui peut limiter sa capacité de négociation ultérieure. En outre, la levée de ces options contraint le fournisseur à répertorier, pour chacune de ses références, leur part exacte de MPA en composition et en prix, ce qui peut s’avérer particulièrement complexe (par ex. en cas de fabrication à l’étranger).
- Bien que garantissant une certaine « opacité » du tarif, l’option 3 n’en reste pas moins délicate à mettre en œuvre. En effet, Egalim 2 ne précise aucunement quels éléments (et notamment la prise en compte ou non du coût des services de coopération commerciale) le tiers certificateur doit prendre en compte pour exercer son contrôle. Espérons que les premières certifications délivrées par les tiers certificateurs (qui sont pour l’essentiel les commissaires aux comptes) inscriront une tendance pour l’avenir.
La convention annuelle conclue entre le fournisseur et le distributeur doit quant à elle faire état:
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- De la part « non-négociable » du tarif lié aux MPA ;
- De la contrepartie de chaque baisse de prix consentie par le fournisseur au distributeur ;
- D’une clause de révision automatique des prix en fonction de la variation du coût des MPA ; et
- D’une clause de renégociation en cas d’évolution à la hausse ou à la baisse des produits agricoles, mais également du coût de l’énergie, du transport et des emballages.
Principale innovation du dispositif, la clause de révision automatique des prix a pour objectif d’éviter aux parties de revenir à la table des négociations en cours d’année en cas de variation importante du coût des MPA. Sa mise en œuvre soulève plusieurs difficultés :
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- L’évolution des indicateurs sur lesquels la formule de révision est basée n’est pas forcément corrélée au cycle d’achat du fournisseur. Cela peut avoir pour effet de « découpler » la valeur du stock de MPA de sa valeur réelle ;
- La formule de révision doit prendre en compte tant les hausses que les baisses du coût des MPA. Cela implique qu’un fournisseur sera contraint de baisser mécaniquement ses prix en cas de baisse du cours des MPA qu’il utilise et ce, même s’il est exposé à la hausse du coût de ses autres matières premières (énergie, transport, emballages notamment) ;
- Certains indicateurs n’existent pas, notamment dans les filières dites « bio », ce qui a contraint les cocontractants à reporter l’intégration de cette clause à une date ultérieure.
Sanctions encourues en cas de manquement aux obligations « aval »Le manquement à ces dispositions est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale, pour chacun des manquements relevés. Première sanction de la DGCCRF sous l’empire d’Egalim 2Le 22 février 2022, ITM Alimentaire International (Intermarché) a été sanctionné d’une amende administrative de 19,2 millions d’euros par la DGCCRF. Le motif retenu par l’autorité est qu’ITM n’a pas « fait figurer dans les conventions annuelles conclues avec ses fournisseurs les éléments relatifs aux services de coopération commerciale facturés par ses centrales internationales AgeCore (Suisse) et ITM Belgique (Belgique) et ce alors que ces services sont rendus en France ». La DGCCRF a ici considéré qu’ITM n’a pas respecté le principe du « ligne à ligne » imposant de faire apparaître la contrepartie de chacune des baisses de prix consenties par le fournisseur. |
EGALIM 2 À L’EPREUVE DES EFFETS INFLATIONNISTES DE LA GUERRE EN UKRAINE
Début mars 2022, les négociations commerciales sur les produits de grandes marques nationales se sont, pour la première fois, clôturées sur une inflation accentuée par la crise en Ukraine. Or, en excluant une partie du tarif fournisseur de la négociation commerciale, Egalim 2 contribue elle aussi à faire augmenter les prix des produits alimentaires.
Derniers relevés de l’inflationEn France, l’inflation a été évaluée fin mai à 5,2% sur un an selon l’Insee. Pour les seuls produits de grande consommation, l’institut IRI a relevé en avril 2022 une hausse moyenne des prix de 2,89 %. |
Dans ce contexte, le gouvernement a mis en place un comité de suivi des négociations commerciales, composé des représentants des différents maillons de la chaîne de la distribution alimentaire, afin de faire face aux conséquences de cette crise.
Signature d’une charte d’engagement – non contraignante juridiquement
Le 31 mars 2022, ce comité a donné lieu à la signature par les représentants de la grande distribution et leurs fournisseurs d’une charte d’engagement, prévoyant toute une série d’engagements.
Pour leur part, les enseignes de la grande distribution se sont engagées à :
- Activer les clauses de renégociation (et « à être souples dans l’analyse de ces clauses ») afin de permettre la prise en compte de l’augmentation des prix des emballages de l’énergie et du transport et ce, même si les critères permettant d’ouvrir la renégociation ne sont pas remplis ; et
- Ne pas appliquer les pénalités logistiques si les fournisseurs justifient suffisamment à l’avance de l’existence d’un lien entre le retard et la guerre en Ukraine.
Les fournisseurs s’engagent de leur côté à faire preuve de transparence et de bonne foi à l’occasion de leur demande de hausse de prix. En cas de pénurie, ils doivent en avertir les distributeurs le plus en amont possible afin d’ « opérer une clé de répartition équitable » de la hausse des coûts conséquente.
Des sanctions en matière de pénalités logistiques sont attenduesLa DGCCRF a conclu en début d’année deux enquêtes initiées lors du précédent cycle de négociations commerciales. Sur la base de ces enquêtes, la DGCCRF a indiqué le 23 février 2022 engager une procédure d’injonction sous astreinte envers une centrale régionale d’une enseigne de distribution afin qu’elle cesse ses pratiques en matière de pénalités logistiques sous un délai de trois mois. Le grief porte notamment sur l’absence de justificatif transmis au fournisseur pour établir le bien fondé des pénalités émises, de l’existence de déductions d’office du montant de pénalités contestées par le fournisseur. En outre, la DGCCRF mène des investigations renforcées concernant des pénalités logistiques auprès de deux autres enseignes. |
EGALIM 2 A l’AVENIR
Le pouvoir d’achat des consommateurs semble être au cœur des préoccupations de la campagne présidentielle et des élections législatives.
Or, de par son objectif même, Egalim 2 risque de contribuer à l’augmentation des prix des produits alimentaires en magasin.
Ce phénomène, couplé à la complexité du dispositif et les conséquences de la guerre en Ukraine risquent de rendre délicate la mise en œuvre du dispositif. Espérons que les décrets d’application et le futur « guide des bonnes pratiques » en matière de pénalités logistiques Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) apporteront des précisions dans les mois à venir.
LE GROUPE FOOD DE BCLPNotre équipe se tient à votre disposition pour répondre à l’ensemble de vos interrogations sur Egalim 2. Elle intervient dans le cadre du groupe agro-alimentaire de Bryan Cave Leighton Paisner, composé d’avocats spécialisés dans le secteur et présents dans plus de 25 juridictions, aux Etats-Unis et en Europe. Du producteur agricole au consommateur final, nos équipes interviennent à l’échelle nationale, européenne et internationale auprès de nombreux acteurs de l’industrie agroalimentaire. Nos avocats ont une expérience transversale significative dans le secteur de l'industrie alimentaire et accompagnent des entreprises sur tous sujets relatifs à la conformité de leurs pratiques à la règlementation applicable, en cas de contentieux ou encore d’opérations d’acquisitions. |
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