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BCLP Paris - Newsletter Concurrence et Distribution - Janvier 2021
Feb 01, 2021L’équipe Concurrence et Distribution du bureau de Paris de BCLP revient sur certaines actualités marquantes de cette fin d’année 2020, et plus particulièrement :
I. Sur la décision du 3 décembre 2020 Dammann Frères portant sur les pratiques de vente en ligne du fabricant de thé. L’Autorité de la concurrence (l’« ADLC ») souligne avec vigueur que l’interdiction des prix imposés s’applique aussi à la vente en ligne. Elle rappelle par ailleurs que l’interdiction de vente via des places de marché ne constitue pas nécessairement une restriction caractérisée ;
II. Sur l’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, dont on peut regretter qu’il valide la saisine de correspondances avocat / client par l’ADLC ou la DGCCRF lorsqu’il n’est pas clairement établi par l’entreprise visitée que ces correspondances sont en lien direct avec l’exercice de ses droits de la défense.
I. Prix imposés et interdiction de revente sur internet : les enseignements à tirer de la décision Dammann Frères du 3 décembre 2020
La décision Dammann Frères est intéressante à double titre : elle rappelle que l’interdiction des ententes verticales par le biais de prix imposés s’applique à la vente en ligne et dans les mêmes conditions que pour la vente en dur (1). Elle précise par ailleurs que l’interdiction de vente par le biais de places de marché tierces en ligne ne constitue pas nécessairement une restriction caractérisée, y compris hors du cadre de la distribution sélective (2).
1. L’Autorité applique à la vente en ligne sa pratique décisionnelle en matière de prix imposés
Les pratiques qui ont valu au fabricant de thé d’être condamné à une sanction pécuniaire de 226.000 euros sont en réalité assez classiques, si ce n’est qu’elles concernaient les vendeurs en ligne. Cette décision a donné l’occasion à l’ADLC de rappeler que les critères d’analyse de pratiques de prix imposés étaient identiques qu’il s’agisse de vente en dur ou de vente en ligne.
Les pratiques constatées sont les suivantes :
- Dammann Frères communiquait à ses distributeurs des « prix généralement constatés », par le biais de son catalogue annuel ;
- Dammann Frères incitait ses distributeurs à appliquer ces prix pour la vente en ligne, via notamment ses conditions générales de vente et des contrats de distribution, qui imposaient au distributeur de prévenir Dammann Frères et d’obtenir une autorisation lorsqu’il entendait vendre sur internet ou pratiquer des promotions en ligne ;
- Dammann Frères s’assurait que ces « prix généralement constatés » étaient bien appliqués par les distributeurs en ligne, grâce à ses propres commerciaux mais également via les distributeurs qui signalaient les pratiques tarifaires « déviantes » de leurs concurrents;
- Lorsque ces prix n’étaient pas respectés, Dammann Frères procédait à des remontrances et des menaces ou mettait en œuvre des sanctions : suppression ou modification des remises accordées, retard ou suppression des livraisons, suppression de leurs coordonnées de la liste de distributeurs figurant sur le site Internet de Dammann Frères et dans certains cas, rupture unilatérale de leurs relations commerciales avec Dammann Frères ;
- La quasi-totalité des distributeurs respectaient les prix conseillés par Dammann Frères ou le cas échéant modifiaient les prix pratiqués pour s’y conformer.
Pour caractériser l’infraction, l’ADLC a mobilisé sa grille d’analyse habituelle.
S’agissant de l’accord de volonté, l’ADLC rappelle qu’en matière d’entente verticale de prix imposés, le mode de preuve le plus généralement utilisé repose sur la démonstration de trois éléments : (i) la diffusion de prix de revente conseillés, (ii) la mise en œuvre d’une surveillance de prix et (iii) l’application effective desdits prix (le « faisceau à trois branches »).
Elle précise néanmoins que l’ADLC n’est pas tenue de réunir ce faisceau d’indices en trois branches, dès lors qu’elle dispose « d’indices documentaires ou comportementaux qui viennent établir, d’une part, l’invitation du fabricant, et d’autre part, l’acquiescement des distributeurs à la pratique litigieuse ».
Selon l’ADLC, l’invitation du fabricant est ici caractérisée, compte tenu (i) de la volonté exprimée par le directeur commercial de Dammann Frères « d’harmoniser les prix des sites de vente en ligne », (ii) de la communication de prix conseillés et (iii) des mesures d’incitations au respect de ces prix, résultant des conditions générales de vente et des contrats de distribution précités, des interventions de Dammann Frères auprès des distributeurs « déviants » et des représailles mises en œuvre en cas de non-respect.
La preuve de l’acquiescement des distributeurs ressort, toujours selon l’ADLC, (i) de l’acceptation de l’encadrement contractuel des prix de revente en ligne, (ii) de l’application effective par une partie significative des distributeurs des prix conseillés et (iii) du fait que certains distributeurs se sont livrés à une surveillance des prix pratiqués par leurs concurrents.
S’agissant de la restriction de concurrence, l’ADLC se contente d’un renvoi à la jurisprudence européenne et nationale et rappelle que les ententes verticales de prix imposés ont un objet anticoncurrentiel. Elle ajoute qu’il s’agit d’une restriction caractérisée au sens du règlement 330/2010 sur les restrictions verticales, et donc non susceptible de bénéficier d’une exemption par catégorie.
Les éventuels effets de la pratique en cause ne font l’objet que d’un unique paragraphe. On rappellera pourtant que, dans le cadre de ses réflexions sur la révision du règlement d'exemption par catégorie applicable aux accords verticaux, la Commission envisage de ne plus nécessairement considérer les pratiques de prix imposés comme des restrictions caractérisées (voir notre newsletter de décembre). On peut donc regretter que l’ADLC n’ait pas plus tenu compte de ces réflexions et anticipé une éventuelle évolution de la perception des prix imposés en droit de la concurrence européen.
2. L’interdiction de vente par le biais de places de marché tierces en ligne ne constitue pas nécessairement une restriction caractérisée, y compris hors du cadre de la distribution sélective
Outre la pratique de prix imposé, Dammann Frères s’était vu notifier un grief au titre de l’interdiction faite à ses distributeurs de vendre ses produits par le biais de places de marché tierces en ligne.
En effet, Dammann Frères avait introduit dans ses conditions générales de vente une interdiction formelle de revendre sur des sites tiers « non agréés », la surveillance du respect de cette interdiction était assurée tant par Dammann Frères que par les autres distributeurs, et son non-respect faisait l’objet d’intervention de la tête de réseau, voire de représailles (arrêt des livraisons), de telle sorte qu’elle faisait globalement l’objet d’une application effective.
Au cas d’espèce, seule la question de la restriction de concurrence résultant de cette clause était débattue, l’existence d’un accord de volonté n’étant pas contestée.
L’ADLC évacue néanmoins très rapidement la question.
Elle rappelle la solution dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt Coty (6 décembre 2017, aff. C-230/16), aux termes de laquelle la Cour avait notamment considéré que dans certaines conditions l’interdiction faite aux distributeurs agréés d’un réseau de distribution sélective de revendre les produits sur des places de marché tiers ne constituait pas une restriction caractérisée prohibée par le règlement n° 330/2010 sur les restrictions verticales et était donc était susceptible de bénéficier d’une exemption par catégorie.
Appliquant cette solution, l’ADLC, retient qu’en l’espèce que :
- dans la mesure où Dammann Frères n’interdisait pas à ses distributeurs de vendre par internet et de se faire connaître par le biais de site internet tiers (publicité et utilisation des moteurs de recherche), l’accord en cause ne constitue pas une restriction caractérisée (même si, étonnamment, l’ADLC ne vise qu’une restriction de la clientèle des distributeurs, au sens de l’article 4, sous b), du règlement n° 330/2010 et ne mentionne pas qu’il ne s’agit pas non plus d’une restriction des ventes passives aux utilisateurs finals, au sens de l’article 4, sous c)) ;
- dès lors que les parts de marché de Dammann Frères sur le marché des thés haut de gamme vendus en ligne sont inférieures à 30 %, l’accord en cause bénéficie effectivement d’une exemption par catégorie et ne doit donc pas être considéré comme anticoncurrentiel.
La décision de l’ADLC vient donc confirmer que la solution de l’arrêt Coty sur ce point peut être étendue à des réseaux de distribution ouverts.
II. La Cour de cassation valide le principe selon lequel les correspondances avocat / client peuvent être saisies dès lors qu’elles ne sont pas en lien avec l’exercice des droits de la défense
Le principe d’insaisissabilité des correspondances avocat / client à l’occasion d’opérations de visites et saisies diligentées par l’Autorité ou la DGCCRF n’est pas absolu. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. Crim., 19-84.304), qui ce faisant met une fois de plus à mal le principe du secret professionnel.
Dans cette affaire, le juge des libertés et de la détention de Chambéry avait, par ordonnance en date du 4 avril 2018, autorisé la DGCCRF à procéder à des opérations de visite et saisie au sein des locaux de la société Au Vieux Campeur. Le déroulement de ces opérations le 24 avril 2018 a par la suite donné lieu à un recours par lequel Au Vieux Campeur demandait à ce que certains courriels échangés avec ses avocats soient retirés de la saisie.
Le 22 mars 2019, le premier président de la Cour d’appel de Chambéry avait fait droit à cette demande et ordonné la restitution de l’ensemble de ces courriels après avoir constaté que ces derniers étaient listés de manière exhaustive dans un tableau récapitulatif permettant de les identifier précisément puisque ce tableau recensait les ordinateurs sur lesquels ces courriels avaient été saisis, les dossiers Outlook dans lesquels ils étaient archivés, l’identité de l’avocat concerné et les destinataires du message.
La DGCCRF, estimant que ces pièces ne pouvaient faire l’objet d’une restitution automatique sans que le premier président de la Cour d’appel de Chambéry ne procède à leur analyse au cas par cas, a formé un pourvoi contre cette ordonnance, sur lequel la Cour de cassation était donc amenée à se prononcer.
Dans l’arrêt d’espèce, la Cour de cassation fait droit au moyen soulevé par la DGCCRF, prononce la cassation de l’ordonnance litigieuse et renvoie l’affaire devant le premier président de la Cour d’appel de Grenoble. En effet, la juridiction suprême estime que si l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que les correspondances échangées entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couvertes par le secret professionnel, l’article L. 450-4 du Code de commerce dispose quant à lui que ces correspondances peuvent néanmoins être saisies dès lors qu'elles ne concernent pas l'exercice des droits de la défense.
Ainsi, au-delà des informations permettant l’identification précise des courriels dont il était demandé la restitution, le tableau récapitulatif qui avait été préparé par Au Vieux Campeur aurait dû apporter des éléments concrets de nature à établir que ces courriels étaient en lien avec l’exercice des droits de la défense, de sorte qu’en l’absence de tels éléments, le premier président n’aurait pas dû accepter de les retirer de la saisie.
En résumé, la Cour de cassation considère donc qu’il ne suffit pas pour le juge de constater qu’il s’agit d’un courriel d’avocat pour en ordonner la restitution, il lui faut démontrer en quoi ce courriel peut concrètement être rattaché à l’exercice des droits de la défense.
Si le raisonnement sur lequel se sont appuyés les juges de la Cour de cassation n’est pas nouveau, puisque celle-ci considère depuis 2013 que seuls les documents se rattachant à l’exercice des droits de la défense sont susceptibles d’être effectivement protégés au titre du secret professionnel, cet arrêt soulève néanmoins une fois de plus des questions, et en premier lieu celle du standard de preuve à apporter pour démontrer qu’une correspondance d’avocat est liée à l’exercice des droits de la défense. Ainsi, à défaut de mener cet exercice de manière minutieuse, les entreprises visitées prennent le risque que ces documents soient ultérieurement versés au dossier d’instruction et utilisés contre elles.
L’autre question soulevée est celle de la saisissabilité des consultations délivrées par un avocat hors de toute procédure contentieuse. L’utilisation par la Cour de cassation des termes d’ « exercice des droits de la défense » signifie-t-il que les consultations rendues en matière de conseil, les rapports d’audits ou encore les analyses de risques sont saisissables ? Cela serait en totale contradiction avec la loi du 31 décembre 1971, laquelle ne souffre d’aucune ambiguïté puisqu’elle prévoit que les correspondances échangées entre le client et son avocat sont couvertes par le secret professionnel en toutes matières (qu’il s’agisse de conseil comme de contentieux), sans que le client ou son avocat n’aient à en justifier. Le secret professionnel couvrant les correspondances échangées entre un client et son avocat constitue le socle de la relation entre ces derniers, et constitue l’un des fondements de l’effectivité des droits de la défense, il semble nécessaire de le rappeler.
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