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BCLP Paris - Newsletter Concurrence et Distribution – Décembre 2020
Dec 02, 2020L’équipe Concurrence et Distribution du bureau de Paris de BCLP revient sur certaines actualités marquantes du dernier trimestre. Dans cette newsletter :
- Pour permettre aux autorités nationales de mieux appréhender les acquisitions prédatrices, la Commission européenne (la « Commission ») annonce le retour en grâce de l’article 22 du Règlement européen sur les concentrations ;
- Dans le cadre de la révision du règlement d'exemption par catégorie applicable aux accords verticaux, la Commission publie sa feuille de route et révèle les contours de la régulation envisagée à ce stade ;
- Enfin, c’est devant la Cour européenne des droits de l’homme (la « CEDH ») que le Gouvernement français reconnaît via une déclaration unilatérale – ce qui est rare – que le FILMM (Syndicat des fabricants de laines minérales manufacturées) n’a pas bénéficié d’un recours effectif contre les décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence refusant d’accorder ou levant le secret des affaires, et s’engage à indemniser le syndicat à ce titre.
Contrôle des concentrations : Dès la mi-2021, les autorités nationales de concurrence pourront renvoyer à la Commission européenne des opérations de concentration présentant un risque pour la concurrence, y compris lorsque celles-ci ne sont pas soumises au contrôle national.
C’est à cette annonce qu’a procédé discrètement Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la concurrence, le 11 septembre dernier : la Commission acceptera désormais les renvois par les autorités nationales de concurrence des opérations qui ne sont pas de dimension européenne, y compris lorsque celles-ci ne franchissent pas les seuils de notification au niveau national. Ce renvoi aura pour fondement l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 (le « règlement européen sur les concentrations »), alors même que celui-ci semblait jusqu’à alors avoir été oublié par les gendarmes européens de la concurrence.
Evolution attendue dans le cadre d’une réflexion plus large ou véritable révolution ? C’est en tout cas un changement de doctrine remarquable. En effet, jusqu’alors, la Commission acceptait uniquement d’examiner une opération de concentration qui, sans être de dimension européenne, était susceptible d’affecter de manière significative la concurrence dans un Etat, sous réserve que le seuil national déclenchant un contrôle et donc la notification d’une opération ait été franchi.
Or, cette approche excluait la possibilité, pour les Etats membres, de renvoyer à la Commission certaines opérations n’atteignant pas les seuils de contrôlabilité nationale et portant notamment sur des acteurs très innovants. La Commission n’était ainsi pas en mesure d’appréhender le phénomène des acquisitions prédatrices ou consolidantes à forte valeur transactionnelle, mais se situant « sous les seuils » de notification nationaux, acquisitions que l’on retrouve en particulier dans le secteur du numérique, le secteur pharmaceutique ou les biotechnologies.
Le contrôle des acquisitions prédatrices (« killer acquisitions ») est d’ailleurs une problématique qui préoccupe de nombreuses juridictions européennes : l’Allemagne et l’Autriche ont ainsi déjà procédé à la modification de leurs critères en matière de contrôle de concentration, et ont intégré dans leur législation nationale un critère alternatif lié à la valeur de la transaction considérée.
C’est dans ce contexte qu’intervient ce changement d’approche du régulateur européen, évolution qu’appelait de ses vœux l’Autorité de la concurrence depuis 2017. Et ce sont ces mêmes acquisitions prédatrices que vise la Commissaire européenne dans son annonce en indiquant qu’« il y a chaque année une poignée de concentrations qui pourraient sérieusement affecter la concurrence, mais que nous ne voyons pas parce que le chiffre d'affaires des entreprises n'atteint pas nos seuils ».
Refusant à ce stade la remise en cause des seuils de notification pour traiter de cette question, la Commission préfère redonner application à l’article 22 du règlement européen sur les concentrations pour élargir son contrôle et pallier le problème des acquisitions prédatrices. Ce changement d’approche de la Commission s’exercera donc sans modifications législatives du contrôle européen des concentrations.
L’article 22 du règlement européen sur les concentrations offre en effet déjà la possibilité à tout Etat membre de demander à la Commission d’examiner une concentration de dimension non communautaire "qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande". La Commission est alors libre d’accepter ou non le renvoi. La seule limite à l’intervention de la Commission est de nature géographique : elle ne pourra prendre que les mesures strictement nécessaires au rétablissement de la concurrence sur le territoire des États à la demande desquels elle est intervenue.
Cet article, surnommé « clause hollandaise », fut proposé par les Pays-Bas lorsque cet Etat membre ne disposait pas encore de mécanisme national de contrôle des concentrations – et souhaitait donc pouvoir solliciter la Commission afin qu’elle examine une opération n’ayant pas de dimension communautaire mais pouvant affecter le marché hollandais.
Depuis l’adoption de cette clause, tous les Etats membres, à l’exception du Luxembourg, se sont dotés d’un système national de contrôle des concentrations. La Commission estimait dès lors qu’un Etat membre ne pouvait demander le renvoi au titre de la « clause hollandaise » que s’il était compétent pour examiner l’opération renvoyée en application de son propre droit national des concentrations. Or, la lettre de l’article 22 ne prévoyait pas une telle condition pour son application.
Si le changement de doctrine de la Commission apporte une clarification bienvenue, et si la décision du régulateur européen permet, selon Isabelle De Silva, Présidente de l’Autorité de la concurrence « de traiter une bonne partie du problème dans le cadre du réseau européen de concurrence », les entreprises devront rester vigilantes quant aux conséquences de cette évolution.
Rappelons en effet que l’effet suspensif des notifications d’opération de concentration s’applique dans le cadre d’une procédure résultant de l’article 22. Dans l’hypothèse où une demande de renvoi serait déposée par un Etat membre, et acceptée par la Commission, les entreprises parties à l’opération devront donc en suspendre la réalisation (pour autant que celle-ci ne soit pas déjà intervenue…).
Le recours à ce nouveau mécanisme risque dès lors d’être la source d’une certaine incertitude juridique pour les opérateurs économiques, notamment pour les entreprises actives dans les secteurs concernés par les acquisitions prédatrices, lesquelles devront sans doute prévoir une prise de contact informelle en amont avec l’Autorité de la concurrence, afin de « sonder » ses intentions relativement à une éventuelle demande de renvoi.
La Commission devrait adopter des orientations sur les circonstances dans lesquelles les demandes de renvoi seront acceptées, préalablement à la mise en application de l’article 22 à partir du milieu de l’année prochaine. Ces orientations sont très attendues !
Distribution : Révision du règlement d'exemption par catégorie applicable aux accords verticaux : la Commission publie sa feuille de route et révèle les premières pistes de réformes envisagées à ce stade
Depuis 2010, le règlement n° 330/2010 de la Commission relatif aux exemptions par catégorie applicable aux accords verticaux (le « Règlement »), et ses Lignes Directrices, visent à assurer aux opérateurs économiques parties à des accords avec des entreprises opérants à différents niveaux de la chaîne de production ou de distribution (accords verticaux), un certain niveau de sécurité juridique, en leur permettant de procéder eux-mêmes à l’analyse de la conformité de leurs accords au droit de la concurrence.
Le Règlement exempte ainsi de plein droit tous les accords qui ne contiennent pas certaines restrictions de concurrence (clauses « noires » ou « grises »), dès lors que le fournisseur et l’acheteur détiennent moins de 30 % de parts de marché.
Ce « guide d’analyse de référence » laisse cependant la porte ouverte à certaines difficultés d’interprétation, et la doctrine et les praticiens se sont ainsi fait le relais, ces dernières années, des demandes de clarifications émanant des opérateurs. Ces clarifications et le réexamen des règles applicables sont d’autant plus nécessaires que, depuis 2010, de nombreux changements sont intervenus dans un environnement de la distribution remodelé, notamment par la croissance du commerce électronique et des plateformes en ligne, où de nouvelles préoccupations de concurrence ont vu le jour.
Les autorités compétentes en la matière se sont donc interrogées sur l’adéquation des outils existants avec la réalité du marché et les pratiques commerciales actuelles. Fin 2018, la Commission lançait ainsi le processus d’évaluation du fonctionnement du Règlement, qui expirera le 31 mai 2022, afin de déterminer s’il y a lieu de laisser expirer ce texte, de le renouveler, ou de le réviser.
C’est dans ce cadre que la Commission a publié, le 8 septembre 2020, un premier document de travail et, le 23 octobre dernier, son analyse d’impact initiale et sa feuille de route, révélant les premières pistes envisagées pour la modification des textes examinés. Ce document est important en ce qu’il envisage les contours des nouvelles règles qui auront vocation à régir les relations verticales entre les acteurs économiques, et notamment tous leurs contrats de distribution.
Tout d’abord, la Commission indique envisager une clarification et une simplification des règles en vigueur, notamment en y intégrant la jurisprudence récente relatives aux restrictions devenues plus courantes ces dernières années (telles que l’interdiction d’utiliser des plateformes en ligne ou de réaliser de la publicité en ligne – référence claire aux décisions « Guess » de la Commission et « Coty » de la Cour de justice de l’Union européenne).
Ensuite, la Commission souhaite clarifier les possibles gains d’efficience résultant des prix de revente imposés, lesquels sont considérés comme des restrictions caractérisées de concurrence par le Règlement actuel. A cette fin, la Commission entend engager des discussions avec les entreprises afin d’identifier des cas concrets dans lesquels de tels gains d’efficience pourraient être valablement revendiqués. Autrement dit, dans certains cas, l’imposition d’un prix de revente pourrait ne plus constituer une clause noire, expressément prohibée.
Enfin, la Commission liste un certain nombre de modifications de règles existantes à l’étude :
- Les interdictions de vente en ligne: L’interdiction des ventes en ligne, forme de vente passive, est actuellement considérée comme une restriction caractérisée de concurrence. Ainsi, certaines mesures de restrictions indirectes, comme la pratique du double prix (dual pricing), qui impose un prix de gros plus important pour la vente en ligne que pour la vente en magasins physiques ne bénéficient pas de l’exemption. Certains fournisseurs et distributeurs considèrent cependant que les règles actuelles, en excluant la possibilité d’appliquer des prix de vente différenciés en fonction des coûts de chaque canal, constituent de fait un frein aux investissements dans les points de vente physiques. Plusieurs options sont envisagées par la Commission :
- Ne pas modifier le Règlement ;
- Ne plus considérer la pratique du double prix comme étant une restriction caractérisée de concurrence, mais imposer des garde-fous via un cadre à définir conformément à la jurisprudence en vigueur ;
- Ne plus considérer que l’imposition de critères plus contraignants pour les ventes en ligne que pour les ventes physiques constituerait une restriction caractérisée de concurrence, mais imposer des garde-fous via un cadre à définir conformément à la jurisprudence en vigueur.
- En ce qui concerne les restrictions de ventes actives (limitant le territoire alloué à un distributeur ou les clients auxquels ce dernier peut vendre les produits concernés), de nombreux fournisseurs ont exprimé leur souhait de pouvoir établir des « exclusivités partagées » entre distributeurs à l’intérieur d’un même territoire et de combiner distribution sélective et exclusive. Plusieurs options sont proposées par la Commission :
- Ne pas modifier le Règlement ;
- Elargir les exceptions aux restrictions de ventes actives afin de donner aux fournisseurs plus de souplesse dans l’établissement et la mise en place de leur réseau de distribution ;
- Protéger les réseaux de distribution sélective en autorisant des restrictions sur les ventes effectuées en dehors du territoire dans lequel le réseau est implanté, et à destination de revendeurs non-agréés situés sur le territoire sur lequel le réseau est établi.
La Commission considère enfin qu’il pourrait être nécessaire de modifier les règles applicables (i) à la distribution duale, à l’occasion de laquelle un fournisseur vend directement aux consommateurs étant ainsi en concurrence avec ses propres distributeurs, et (ii) aux clauses de parité, imposant au fournisseur d’offrir à son cocontractant des conditions au moins similaires à celles proposées sur tout autre canal de vente ou uniquement sur ses canaux de vente directe (dans la mesure où, bien que ces clauses bénéficient du Règlement d’exemption, certains effets anticoncurrentiels ont été identifiés par les autorités de concurrence et juridictions nationales). Le régulateur envisage ainsi, dans certains cas, de supprimer le bénéfice de l’exemption concernant ces clauses de parité, et de les inclure dans la liste des restrictions caractérisées.
La Commission va à présent procéder à la revue des avis des parties prenantes sur cette feuille de route qui ont été déposés sur son site, et le lancement d’une consultation publique est attendu d’ici à la fin de l’année. L’adoption par la Commission de la version finale du nouveau Règlement devrait intervenir au 2ème trimestre 2022. A suivre, donc…
Droits fondamentaux : Une première - Le gouvernement français s’est engagé, devant la CEDH, à dédommager le Syndicat des fabricants de laines minérales manufacturées (le « FILMM »), reconnaissant que ce dernier n’a pas bénéficié d’un recours effectif contre les décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence (« l’Autorité ») refusant d’accorder ou levant le secret des affaires.
L’affaire remonte à loin : le 8 avril 2009, le ministre de l’Économie saisit l’Autorité de faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des isolants minces multicouches réfléchissants. Le 16 avril 2010, la société A. saisit également l’Autorité, et les deux saisines seront jointes le 21 mai 2010.
Dans le cadre de son enquête, l’Autorité procèdera en juin 2009 à des opérations de visites et saisies dans les locaux de plusieurs entreprises et organismes, parmi lesquels ceux du FILMM, et procèdera à la saisie de nombreux documents, dont certains relatifs à une procédure opposant par ailleurs le FILMM à la société A, d’abord devant le Tribunal de commerce, puis la Cour d’appel de Versailles. Le FILMM demandera à l’Autorité, en application de l’article L. 463-4 du code de commerce, la protection au titre du secret des affaires de certains des documents saisis. Par décision du 1er septembre 2010, le rapporteur général adjoint de l’Autorité ne fera que partiellement droit à cette demande. Les 27 février 2012 et 20 juin 2014, après avoir recueilli les observations du FILMM, il décide de lever le secret des affaires relativement à plusieurs documents supplémentaires.
Ces décisions de « déclassement » partiel étaient définitives puisque l’article R. 464-29 du code de commerce, dans sa version en vigueur au moment des faits, prévoyait que les décisions prises par le rapporteur général dans le domaine du secret des affaires ne pouvaient faire l’objet d’un recours qu’avec la décision de l’Autorité sur le fond (laquelle n’est toujours pas intervenue à ce jour).
La société A. a ainsi pu avoir accès aux pièces ayant fait l’objet des décisions de refus ou de levée du secret, sans que le FILMM n’ait pu s’y opposer. La société A a donc pu produire ces documents à l’occasion de la procédure judiciaire l’opposant par ailleurs au FILMM, et ce, alors même que la décision du Premier ministre refusant d'abroger ou de modifier l'article R. 464-29 du code de commerce faisait l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat.
A la faveur de sa décision du 10 octobre 2014, le Conseil d’État a considéré que les dispositions critiquées de l’article R. 464-29 précité étaient entachées d’illégalité, et a enjoint à l’État français de modifier sa législation en la matière afin d’organiser un véritable recours effectif. A la suite de cette décision, le décret n° 2015-521 du 11 mai 2015 a abrogé les dispositions en cause et la loi du 18 novembre 2016 a transféré au juge judiciaire, en l’espèce le premier président de la cour d’appel de Paris, l’examen des recours contre les décisions du rapporteur général relatives à la protection du secret des affaires.
La décision de la CEDH du 5 novembre 2020 vient définitivement clore cette affaire. La Cour y prend acte de la déclaration unilatérale du gouvernement français, lequel reconnait sans ambiguïté que le FILMM n’a pas bénéficié d’un recours effectif contre les décisions de levée partielle du secret des affaires de ce dernier, ce qui était contraire aux exigences de procès équitable issues de l’article 6 § 1 de la Convention. Le gouvernement français s’engage dès lors à verser 13.000 euros au FILMM en guise de réparation.
La CEDH raye ainsi du rôle la requête introduite par le FILMM, en dépit de l’opposition de ce syndicat, qui pourra néanmoins demander à ce que sa requête soit réinscrite au rôle, si le gouvernement français ne satisfait pas aux mesures prévues, ou éventuellement, s’il estime que les dommages et intérêts octroyés ne sont pas de nature à réparer l’intégralité de son préjudice, engager la responsabilité de l’État français devant les juridictions nationales compétentes.
Enfin, et si ce volet du dossier semble définitivement réglé, reste encore - et toujours - la procédure en cours devant l'Autorité, qui, au terme d’une instruction particulièrement longue, devrait bientôt déboucher sur une décision.
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