Insights
Conditions générales de vente différenciées
la Cour de cassation précise la portée de l’obligation de communication des fournisseurs
Dec 01, 2022Summary
Distribution: Par deux arrêts rendus le 28 septembre 2022, la Cour de cassation est venue préciser les conditions dans lesquelles l’établissement et la communication de conditions générales de vente différenciées sont susceptibles d’engager la responsabilité du fournisseur
L’article L.441-1 du Code de commerce prévoit la possibilité pour un fournisseur de différencier ses conditions générales de vente (« CGV ») « selon les catégories d'acheteurs de produits ou de prestations de services ». Il dispose, par ailleurs, que le fournisseur qui établit des CGV est tenu de les communiquer « à tout acheteur qui en fait la demande pour une activité professionnelle », faute de quoi il engage sa responsabilité.
Cette faculté de différenciation présente de nombreuses utilités pour les fournisseurs, dès lors qu’elle permet de moduler les prix et réductions applicables en fonction des catégories d’acheteurs, étant rappelé que les CGV proposées « constituent le socle unique de la négociation commerciale ».
Elle est toutefois susceptible de générer des difficultés pratiques, lorsqu’un acheteur qui se voit communiquer des CGV applicables à une des catégories d’acheteurs définies, qu’il considère comme moins favorables, conteste le bien-fondé de la différenciation opérée par le fournisseur ou soutient appartenir à une autre des catégories d’acheteurs par ailleurs définie.
C’est sur ces problématiques que la Cour de cassation s’est prononcée à l’occasion de deux arrêts rendus le 28 septembre 2022. Ces affaires, qui opposaient toutes deux un laboratoire à la même société de regroupement à l’achat (« SRA »), concernent le secteur pharmaceutique mais apportent des enseignements transposables à tous les fournisseurs.
Le contexte des pourvois
Dans le secteur de la distribution pharmaceutique, les laboratoires sont susceptibles de contracter avec différentes catégories d’acheteurs : grossistes, officines, officines groupées, hôpitaux, SRA, etc. Ces dernières sont des intermédiaires entre les laboratoires et leurs officines adhérentes. Elles interviennent en qualité de commissionnaire à l’achat, c’est-à-dire en leur nom mais pour le compte de leurs adhérents. Dans le cadre de cette activité d’achat groupé, les SRA sont régulièrement associées à des centrales d’achat pharmaceutiques (CAP) qui procèdent au stockage de la marchandise.
Une SRA avait sollicité de deux laboratoires la communication de leurs CGV.
Dans le premier cas, le laboratoire avait distingué 4 catégories d’acheteurs et établi autant de CGV différenciées pour (i) les grossistes-répartiteurs, (ii) les officines, (iii) les SRA et CAP et enfin (iv) les hôpitaux et établissements hospitaliers publics. Il avait communiqué à la SRA les CGV « SRA et CAP », alors que cette dernière sollicitait la communication des CGV applicables aux officines.
Dans le second cas, le laboratoire avait établi 3 jeux de CGV différenciées, pour (i) les officines indépendantes, (ii) les officines groupées, et (iii) les grossistes. Il avait communiqué à la SRA les CGV « grossistes » quand, là encore, cette dernière estimait devoir bénéficier des CGV applicables aux officines.
La question posée et l’apport du premier arrêt (pourvoi n°21-20357)
Dans le premier arrêt, la question qui se posait en substance à la Cour de cassation portait sur la justification par le fournisseur de la différenciation opérée entre ses différents acheteurs : le fournisseur était-il bien fondé à distinguer les officines des SRA ? A défaut, fallait-il considérer que la communication de CGV différenciées « injustifiées » était susceptible d’engager la responsabilité du fournisseur pour manquement à son obligation de communication ?
La différenciation des CGV doit être justifiée par des différences de situation objectives entre les acheteurs.
Afin de déterminer si la communication à la SRA des CGV « SRA et CAP » était justifiée, ou si cette dernière était légitime à solliciter la communication des CGV applicables aux officines, la Cour de cassation s’est attachée à vérifier s’il existait entre ces deux catégories d’acheteurs des différences objectives.
Au cas d’espèce, la Cour de cassation a retenu qu’une telle différence objective existait, dans la mesure où les SRA contractent certes pour le compte des officines mais en leur nom propre, à la différence des officines avec lesquelles les laboratoires « traitent directement ». Elle a précisé qu’il importait peu à cet égard que le transfert de propriété des produits vendus se fasse directement dans le patrimoine des officines, dès lors que le contrat a été conclu par la SRA en son nom propre en négociant elle-même les prix et les achats.
Dès lors, pour la Haute juridiction, le refus du laboratoire de communiquer les CGV applicables aux officines n’était pas fautif.
Si la différence entre les officines et les SRA identifiée dans cette décision n’est pas nécessairement transposable à tous les secteurs, le raisonnement intéressera l’ensemble des fournisseurs qui établissent des CGV : la catégorisation des différents acheteurs doit impérativement reposer sur des critères objectifs. A défaut, la communication par un fournisseur de CGV « artificiellement » différenciées s’assimilerait à un défaut de communication et engagerait sa responsabilité.
La communication de CGV « artificiellement » différenciées s’assimile à un défaut de communication et engage la responsabilité du fournisseur.
La question posée et l’apport du second arrêt (pourvoi n°19-19768)
Dans le second arrêt, la Cour de cassation était confrontée à une situation différente, puisque le laboratoire n’avait pas établi de CGV spécifiquement pour les SRA. La question était donc de savoir si, en transmettant des CGV applicables à une autre catégorie d’acheteurs, le fournisseur avait manqué à son obligation de communication et engagé sa responsabilité.
En l’absence de CGV spécifiquement applicables à un acheteur, il convient de rechercher la catégorie dont il se « rapproche le plus » au regard des « relations des parties dans leur ensemble ».
Dans cette affaire, afin de déterminer si la communication à la SRA des CGV « grossistes » était justifiée, ou si cette dernière était légitime à solliciter la communication de celles applicables aux officines, la Cour de cassation s’est attaché à vérifier à quelle catégorie d’acheteurs identifiée par le laboratoire la SRA « se rapprochait le plus », en se fondant sur les « relations des parties dans leur ensemble ».
Elle relève à cet égard que si « le fournisseur définit librement les différentes catégories d'acheteurs auxquelles sont applicables ses conditions de vente, à condition que les critères définissant ces catégories soient objectifs », il ne peut refuser la communication des conditions catégorielles de vente « que s'il établit, selon des critères objectifs, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ».
Au cas d’espèce, elle donne raison à la SRA, considérant que (i) le fait que la SRA agisse en qualité de commissionnaire à l’achat d’ordre et pour le compte des officines et que (ii) les SRA supportent, comme les officines commandant directement, des charges de stockage, constituaient des similitudes déterminantes avec la situation des officines indépendantes.
Partant, elle retient qu’en communiquant des CGV catégorielles inapplicables à la SRA le laboratoire a engagé sa responsabilité.
Un fournisseur engage sa responsabilité lorsqu’il communique des CGV catégorielles inapplicables à l’acheteur.
La solution dégagée invite donc les fournisseurs à être particulièrement attentifs, d’une part, lors de la détermination des différentes catégories de CGV qu’ils établissent et, d’autre part, lors de la communication de CGV catégorielles à un acheteur ne relevant pas avec évidence de l’une ou l’autre de ces catégories.
Related Capabilities
-
Antitrust & Competition