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Hydrogène renouvelable ou bas-carbone : ouverture de la procédure de mise en concurrence pour l’obtention du soutien financier
Feb 27, 2025Après une année qu’elle a qualifié de « blanche », la filière hydrogène commence l’année 2025 sous de meilleurs auspices.
Depuis 2021, il est prévu que les producteurs d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone sélectionnés au terme d’une procédure de mise en concurrence puissent bénéficier d’un dispositif de soutien. Le régime encadrant l’octroi de cette aide financière a été créé par l’ordonnance du 17 février 2021 relative à l’hydrogène (l’ « Ordonnance ») et précisé par un décret du 1erseptembre 2023. Ces textes ont été codifiés aux articles L. 812-1 et R. 812-1 et suivants du code de l’énergie.
Dans ce contexte, la filière attendait le lancement de la première période de l’appel à candidatures, ce qui est désormais chose faite avec la procédure de mise en concurrence avec dialogue concurrentiel « N°2023-DGEC-19 (ADEME) portant sur le soutien à la production électrolytique d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone ». La puissance cumulée des projets qui pourront être lauréats de cette première période est limitée à titre indicatif à 200 MW de capacité d’électrolyse, pour un total indicatif de 1 000 MW sur trois périodes d’ici 2026.
La procédure de mise en concurrence de chaque période est conduite par l’Agence de la Transition Ecologique (ADEME) et se décompose en plusieurs phases : une phase de sélection des candidatures, puis une phase de dialogue concurrentiel avec le ministre chargé de l’énergie ouverte seulement aux candidats admis à y participer (entre 3 et 12 candidats), et enfin une phase de désignation des lauréats sur la base des demandes d’aide finales déposées par les candidats sélectionnés.
A ce stade, la phase de sélection de la première période a commencé et un document de consultation a été publié sur la plateforme des achats de l’Etat dénommée « PLACE » (lien). Les dossiers de candidature pourront être déposés jusqu’au 14 mars 2025 (à 12h) sur cette plateforme. Les producteurs peuvent au préalable soumettre des questions jusqu’au 21 février et les réponses devraient être publiées avant le 28 février.
Les candidats peuvent participer à la procédure seuls ou en groupement, mais chaque candidat ne pourra déposer qu’un seul dossier de candidature et de demande d’aide, et un dossier ne peut porter que sur une seule installation (le cas échéant composée de plusieurs unités de production d’hydrogène).
À l’issue de la procédure de mise en concurrence, un contrat d’aide sera conclu avec chaque lauréat. Cette aide financière prendra la forme d’un complément de rémunération pendant une durée maximale de 15 ans. L’Etat a alloué une enveloppe de 4 milliards d’euros à ce dispositif de soutien.
Nous vous présentons ci-après les conditions d’éligibilité (1) et les critères qui seront utilisés pour la sélection et la désignation des projets (2), puis certaines contraintes que la qualité de lauréat impose sur le développement des projets (3) et enfin les caractéristiques connues à ce stade de l’aide financière attendue (4).
Les principales conditions d’éligibilité des projets sont listées ci-dessous.
1.1 Projets situés en France
Les installations implantées en dehors du territoire français sont exclues. En revanche, l’appel à candidatures est ouvert à tout porteur de projet installé sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne (UE) ou de l'Espace économique européen (EEE).
1.2 Production par électrolyse de l’eau d’hydrogène renouvelable ou bas-carbone
Seul l’hydrogène produit par électrolyse de l’eau est éligible à l’appel à candidature (conformément à l’article L. 812-1 c. énergie). En outre, les projets utilisant un procédé de séquestration du dioxyde de carbone (CO2) ne sont pas éligibles.
Pour être considéré comme renouvelable, l’hydrogène doit être produit i) en utilisant de l’électricité issue de sources d’énergies renouvelables (ENR), ii) avec un procédé de production qui émet une quantité de CO2 inférieure ou égale à un seuil de 3,38 kilogrammes (kg) d’équivalents (eq) CO2 par kg d’hydrogène produit (kgCO2éq/kgH2).
Pour être considéré comme bas-carbone, le procédé de production doit respecter le seuil d’émission ci-dessus mentionné de 3,38 kgCO2éq/kgH2, mais l’hydrogène n’a pas à être produit en utilisant des ENR. Ainsi, l’hydrogène produit par électrolyse à partir de l’énergie nucléaire peut être qualifié d’hydrogène bas-carbone, ce qui élargit la base de projets éligibles.
Ces définitions ont été codifiées à l’article L. 811-1 du code de l’énergie et précisées par un arrêté du 1erjuillet 2024.
1.3 Puissance Soumise comprise entre 5 MW et 100 MW
Les porteurs de projet peuvent choisir de ne soumettre à l’appel à candidature qu’une partie de la puissance installée de leur installation (la « Puissance Soumise »). Autrement dit, la candidature ne concerne pas nécessairement l’ensemble de la puissance installée de l’installation, qui peut par exemple couvrir d’autres usages que ceux demandés (cf. point 1.4 ci-dessous).
Dans tous les cas, la Puissance Soumise doit être comprise entre 5 MW et 100 MW. Le ministère, qui prévoyait initialement de limiter l’éligibilité aux projets d’une puissance supérieure à 30 MW, a donc finalement choisi d’accepter des projets de tailles diverses y compris celles plus modestes. Il s’est ainsi aligné à l’enchère de la Commission européenne qui prévoit les mêmes seuils (cf. conclusion ci-dessous).
C’est un signal positif pour la filière hydrogène puisque cela permet d’ouvrir la procédure au plus grand nombre d’acteurs et projets au lieu de la limiter aux grands groupes disposant de projets d’envergure, au moins en théorie.
1.4 Production Soumise principalement destinée à des usages industriels directs
Seules sont éligibles les installations dont la production prévisionnelle associée à la Puissance Soumise (la « Production Soumise ») est principalement destinée à des usages industriels directs. D’ailleurs, l’aide financière ne portera que sur la part de la Production Soumise associée à des usages industriels directs.
Sont exclus de la notion d’ « usages industriels directs » les usages suivants : le chauffage (à l’exception des procédés thermiques haute température dans l’industrie minérale, métallurgique ou chimique), l’injection dans le réseau de gaz naturel, la production d’électricité à partir de l’hydrogène, et les usages éligibles à des dispositifs incitatifs à la consommation d’énergie renouvelable ou bas-carbone dans le secteur des transports.
Cette condition fait partie d’une stratégie française plus générale visant à promouvoir une industrie verte nationale.
1.5 Caractère nouveau de l’installation
La construction et l’exploitation de l’installation concernée doit être nouvelle. A ce titre, le document de consultation précise que cela implique de ne pas entreprendre les investissements avant la désignation comme lauréat, d’attendre la soumission du dossier de demande d’aide finale pour débuter les travaux (sauf le raccordement), et de ne pas commencer la production d’hydrogène avant la prise d’effet du contrat d’aide (sauf les phases de test).
Notons en revanche que de nombreux éléments liés au développement du projet doivent être préparés en amont comme en témoignent les pièces à verser au dossier (cf. points 1.6 et 2 ci-dessous).
1.6 Confirmation de l’approvisionnement électrique et de la vente de la production
Le développement projet doit être suffisamment organisé dès le stade de la candidature, puisque le candidat doit démontrer les données suivantes :
- au moins 30 % de l’approvisionnement électrique nécessaire à la Production Soumise est sécurisé sur 10 ans. A ce titre, le candidat doit joindre au dossier une lettre d’intention d’un fournisseur d’électricité montrant que le plan d’approvisionnement en électricité décarbonée pour le projet est crédible, et fournir des protocoles d'accord et lettres d'intention signées avec des fournisseurs atteignant ce pourcentage ;
- au moins 60 % de la vente de la Production Soumise est destinée à des usages industriels directs et est sécurisée sur la durée du soutien, en joignant au dossier une liste des acheteurs prévisionnels et des protocoles d’accord ou lettres d’intention atteignant ce pourcentage.
Ces conditions contraignantes pour la filière, qui reste en cours de structuration, sont susceptibles de bloquer plusieurs porteurs de projet.
1.7 Diverses conditions
En complément, d’autres conditions sont listées par le document de consultation, dont en particulier :
- fournir une lettre d’intention d’un établissement bancaire d’octroyer une garantie autonome à première demande (GAPD) de 8 % du montant d’aide sollicité pour garantir la mise en service du projet (ou alternativement prévoir qu’une consignation sera réalisée auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations – CDC) – ce qui est une condition usuelle ;
- s’approvisionner hors UE en stacks d’électrolyseurs à hauteur de 25 % au maximum.
Pour sélectionner les dossiers admis à participer au dialogue concurrentiel, l’ADEME vérifiera les conditions d’éligibilité ainsi que la complétude du dossier de candidature, et portera une attention particulière aux capacités techniques et financières du porteur de projet, sur la base des documents listés par le document de consultation.
Certaines pièces requises sont particulièrement exigeantes pour des projets en développement et demandent un état de préparation avancé, malgré le fait que l’installation doit être nouvelle. Citons en particulier les trois notes suivantes :
- une note financière détaillant les moyens pour assurer le financement du projet ;
- une note technique indiquant notamment la date prévisionnelle de mise en service et les principaux jalons de développement et de construction, mais aussi – ce qui est plus singulier et peut s’avérer difficile à répondre – des indications sur les contrats EPC et O&M d’ores et déjà signés, avec shortlists de prestataires;
- une note de compétence démontrant la capacité à développer un projet complexe présentant des risques technologiques élevés et à les maîtriser, comprenant 3 à 5 projets industriels de référence d’un coût d’investissement total supérieur à 20 millions d’euros – ce qui interroge sur l’ouverture du dispositif aux startups de la filière.
Si le nombre de candidats qui satisfont ces exigences minimales est supérieur à 12, les candidatures seront classées suivant les deux critères de sélection ci-dessous :
- le degré de maturité du projet, noté sur 4 points, l’Etat ne souhaitant expressément pas engager de discussions pour des projets « insuffisamment avancés dans leur conception et leur préparation». Le document de consultation est très clair sur ce critère discriminant et les candidats sont d’ailleurs expressément encouragés de se rapprocher rapidement du gestionnaire de réseau pour assurer le raccordement rapide de l’installation ;
- le nombre et la pertinence des références de projets industriels, sur 1 point.
Par la suite, les candidats seront avisés par le ministre chargé de l’énergie du rejet de leur candidature ou de leur sélection à participer au dialogue concurrentiel.
La finalité de ce dialogue sera d’échanger sur les clauses du projet de cahier des charges, pour les ajuster. Certains thèmes de discussion sont d’ores et déjà prévus (sécurisation de l’approvisionnement, calcul de l’aide financière, prix,…). Notons à cet égard qu’un projet avait été soumis à consultation il y a un an, jusqu’en janvier 2024, et peut renseigner sur les clauses auxquelles s’attendre, bien qu’il est probable que le texte change sur de nombreux points.
Les demandes d’aide finales seront réalisées et déposées sur la base du cahier des charges finalisé.
Ces demandes seront évaluées sur la base de deux types de critères pour la désignation en tant que lauréat :
- le critère prix, pour au moins 70 % de la pondération totale : ce critère sera apprécié en fonction du niveau de subvention demandé en euro par kg d’hydrogène produit, l’offre finale ne devant pas dépasser un prix plafond de 4 €/kg (comme pour l’enchère de la Commission européenne – cf. ci-dessous en conclusion) ;
- les critères hors prix, pour au plus 30 % de la pondération totale : ces critères concerneront l’impact énergétique, technologique et environnemental du projet.
Pendant l’ensemble de la procédure de mise en concurrence, les capacités techniques et financières du candidat devront être maintenues à un niveau au moins équivalent à celui présenté lors du dépôt du dossier de candidature. Des règles viennent également encadrer le maintien, durant la procédure de concurrence, de la composition des candidats et des groupements.
La désignation comme lauréat emporte son lot de contraintes et de conditions à respecter lors du développement et de la construction du projet, en particulier :
- le projet devra être exécuté par une société de projet (SPV) dédiée et domiciliée en France, conformément au dossier de demande d’aide finale retenu et au cahier des charges. Cette SPV devra être détentrice des autorisations administratives et des contrats de projet nécessaires à sa réalisation ;
- la garantie financière doit être constituée au plus tard 8 semaines après la désignation comme lauréat et rester valide jusqu’à la mise en service ;
- les financements nécessaires à l’achèvement de l’installation devront être bouclés au plus tard 30 mois suivant la signature du contrat d’aide (sauf circonstances exceptionnelles dûment motivées) ;
- l’installation devra être achevée dans les 60 mois suivant la signature du contrat d’aide, sous peine d’une réduction de sa durée égale à celle du dépassement (sauf circonstances exceptionnelles dûment motivées). Initialement, il était prévu que la date de mise en service devait intervenir avant le 31 décembre 2026. Le document de consultation corrige ainsi les retards pris dans l’organisation de la procédure d’appel à candidatures.
Un contrat de complément de rémunération sera signé avec l’Etat (ou une autre personne morale de droit public), conformément aux conditions qui auront été fixées dans le cahier des charges et aux caractéristiques du projet déterminées dans le dossier de demande d’aide.
Le complément de rémunération est une prime proportionnelle à l’énergie produite, calculée comme la différence entre un prix de référence, assimilable au prix actuel, et un prix de marché de référence.
Certains éléments sont d’ores et déjà encadrés par le code de l’énergie, qui précise qu’il pourra soit s’agir d'une aide au fonctionnement, soit d’une combinaison d’une aide à l'investissement et d’une aide au fonctionnement.
En outre, le montant accordé ne pourra conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés (résultant du cumul de toutes les recettes prévisionnelles de l’installation du producteur et des aides financières ou fiscales dont elle bénéficie), excède « un niveau de rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents aux activités concernées » (article L. 314-20 c. énergie). Dans ce cadre, il pourra être demandé au lauréat de renoncer à certaines aides financières ou fiscales.
A titre de précision, le projet de cahier des charges qui avait été soumis à consultation jusqu’en janvier 2024 prévoyait un taux de rendement interne (TRI) maximal de 8 % (avant impôt prévisionnel), sous peine que le gain excédentaire soit reversé à l’Etat. En cas de performances économiques du projet inférieures à ce TRI maximal mais supérieurs aux prévisions du modèle financier, il était projeté que le producteur conserve 25 % du gain et que 75 % soient reversés à l’Etat.
Les modalités de versement de l’aide financière seront aussi fixées dans le cahier des charges.
Dans un contexte d’instabilité gouvernementale, faisons donc le vœu que la procédure d’appel à candidatures recueille dès cette première période le succès attendu de pied ferme par la filière et qu’un nombre suffisant de projets soient à un stade de développement assez mature pour satisfaire les exigences des pièces demandées.
Constituant une aide d’Etat soumise à l’obligation de notification à la Commission européenne, le dispositif de soutien national reste toutefois conditionné à une décision favorable de la Commission européenne sur la base du cahier des charges finalisé qui lui sera transmis (la procédure de pré-notification sur la base du document de consultation de la 1èrepériode étant en cours à ce jour).
Par ailleurs, la Commission européenne propose elle aussi une aide financière à la filière hydrogène, via la Banque européenne de l’Hydrogène. Elle a ouvert fin 2024 une enchère pour accorder 1,2 milliard d’euros à des projets de production d’hydrogène renouvelable. Une enchère précédente avait permis d’octroyer 720 millions d’euros à 7 projets (mais aucun sous pavillon français).
Des efforts continus restent nécessaires pour assurer la compétitivité des projets européens, face à un investissement massif des Etats-Unis sous la précédente présidence, dont l’avenir est toutefois devenu incertain. La production d’hydrogène vert constitue une industrie à forte valeur ajoutée pour la France et, plus largement, pour l’UE.
Cet article a été rédigé avec l’assistance de Thomas Philippe, élève-avocat.
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