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Applications mobiles : Analyse des recommandations de la CNIL pour mieux protéger la vie privée
Feb 17, 2025Summary
Le 24 septembre 2024, la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) a publié un ensemble de recommandations visant à améliorer la conformité des applications mobiles aux règles relatives à la protection de la vie privée.
Alors que les applications mobiles sont devenues un des principaux moyens d’accès aux services numériques, leur omniprésence s’accompagne de risques importants pour la vie privée des utilisateurs, en raison de la quantité massive de données collectées et traitées via nos téléphones portables. Ces nouvelles recommandations visent à clarifier les obligations des différents acteurs de l'écosystème des applications mobiles, à promouvoir des bonnes pratiques.
Fidèle à son rôle pédagogique, la CNIL adopte une approche pratique, opérant une distinction claire entre ce qui relève de l’obligation de ce qui relève de la bonne pratique ou de la recommandation, permettant ainsi aux professionnels du secteur de mieux préparer leur conformité. La CNIL a structuré ses recommandations de manière à prendre en compte la diversité des acteurs intervenant dans la chaîne de valeur des applications mobiles. Cinq grandes catégories sont ainsi visées :
- les éditeurs,
- les développeurs,
- les fournisseurs de SDK (Software Development Kit),
- les fournisseurs de systèmes d’exploitation et
- les magasins d’applications.
Chaque catégorie d’acteur bénéficie de recommandations spécifiques adaptées à son rôle dans le cycle de vie d’une application, depuis la conception jusqu’à la publication sur un app store. Des listes de vérification accompagnent chaque section, offrant aux professionnels du secteur un outil pratique pour évaluer et documenter leur conformité.
Dans une démarche inédite, la CNIL a sollicité l’avis de l'Autorité de la concurrence (ADLC) afin d'examiner les impacts concurrentiels potentiels de ses recommandations en matière de protection des données, en particulier vis-à-vis des grandes entreprises du secteur des applications mobiles. Cette initiative s’inscrit dans le cadre du principe de coopération loyale entre les autorités de protection de la vie privée et les autorités de concurrence, consacré par l'arrêt Meta du 4 juillet 2023 rendu par la Cour de justice de l'Union européenne. Ce dialogue est d’autant plus pertinent que des points de tension peuvent exister entre les principes protégeant les données personnelles et ceux applicables à la concurrence.
C’est donc à juste titre que l'ADLC a exprimé ses préoccupations quant aux risques que ces recommandations pourraient faire peser sur la concurrence, au bénéfice des acteurs intégrés verticalement, qui dominent à la fois le marché des systèmes d'exploitation, des app stores, et de divers services connexes. Ces écosystèmes fermés pourraient en effet exploiter la conformité aux règles de protection des données pour renforcer leur domination, en imposant des standards de conformité élevés que seuls eux seraient en mesure de respecter aisément et qui feraient office de barrière à l’entrée du marché pour les plus petits acteurs.
Cet avis de l’ADLC fait écho au Digital Markets Act (DMA), qui régule les grandes plateformes désignées comme « contrôleurs d'accès », et qui impose déjà des règles strictes pour garantir une libre concurrence sur le marché numérique. Dans cette optique, l'ADLC a préconisé à la CNIL d’ajuster ses recommandations afin qu’elles ne puissent pas procurer d'avantages disproportionnés pour ces entreprises dominantes, au détriment des autres acteurs du marché, notamment les plus petits ou les nouveaux entrants.
1ère étape : Qualification de l’activité et identification du rôle dans le traitement des données personnelles
Avant toute mise en œuvre des recommandations de la CNIL, il est impératif pour chaque acteur de l'écosystème des applications mobiles de clarifier son rôle.
D’une part, il est nécessaire de déterminer la place de chaque acteur dans la chaîne de valeur des applications mobiles, parmi les 5 typologies d’acteurs identifiés par la CNIL.
D’autre part, chaque acteur doit analyser son rôle vis-à-vis des données personnelles qu’il traite. Cette évaluation consiste à déterminer, pour chaque traitement de données, si l'acteur agit en qualité de responsable de traitement ou de sous-traitant.
La complexité de cette analyse réside dans la multiplicité des rôles qu’un même acteur peut occuper simultanément. Un exploitant d’app store, par exemple, peut également être éditeur de certaines applications qu’il distribue. En outre, il peut agir en tant que responsable de traitement pour certains traitements, et de sous-traitant pour d’autres.
2nde étape : Recommandations ciblées pour chaqueacteur
Après avoir clarifié les rôles et qualifications de chaque acteur, la CNIL émet des recommandations spécifiques, adaptées aux responsabilités et aux fonctions propres à chacun. En plus de rappeler les obligations générales applicables à tout responsable de traitement ou sous-traitant, la CNIL apporte des précisions pratiques pour l'application concrète de ces recommandations, en tenant compte des particularités spécifiques à chaque acteur de l’écosystème des applications mobiles
La première étape pour un éditeur consiste à identifier tous les traitements de données personnelles qui seront mis en œuvre dans le cadre de l’utilisation de l’application. Cette analyse permet de définir les finalités de chaque traitement et d’identifier la base légale appropriée. La CNIL rappelle qu’en matière de traitement de données à des fins publicitaires ou de recommandation de contenus, le consentement explicite de l’utilisateur est requis, notamment lorsqu’il s’agit d'opérations de lecture ou d'écriture sur son terminal. En revanche, aucune collecte de consentement n’est nécessaire pour les traitements strictement nécessaires à la fourniture d’un service de communication en ligne demandé expressément par l’utilisateur.
Plusieurs principes clés doivent guider l’éditeur dans la phase de conception de l’application (minimisation des données, durée de conservation limitée etc.). En outre, en application du concept de privacy by design, les éditeurs doivent configurer les paramètres par défaut de l’application de manière à être les moins intrusifs possible. Par ailleurs, la documentation et la justification de ces choix sont indispensables pour respecter le principe d’accountability.
Les éditeurs doivent également encadrer les relations avec leurs partenaires, en particulier avec les développeurs, qui agissent en tant que sous-traitants. Un accord de sous-traitance doit être mis en place pour encadrer les responsabilités respectives de l’éditeur et du développeur et garantir la conformité des traitements.
En outre, la CNIL insiste sur l’importance de bien gérer les permissions d’accès aux ressources du téléphone (localisation, liste de contacts, appareil photo, etc.). L’utilisateur doit toujours être en mesure de contrôler ces accès et de donner son autorisation explicite via le système d’exploitation de son terminal.
Lors du développement de l’application, l’éditeur doit mener une analyse rigoureuse pour déterminer :
- Si l’accès à certaines données est strictement nécessaire au fonctionnement de l’application.
- Si une alternative existe pour éviter l’utilisation de certaines permissions.
- Si les données peuvent être stockées localement sur le terminal, sans nécessiter de transfert vers des serveurs externes.
Seules les permissions strictement nécessaires doivent être demandées, en accord avec le principe de minimisation des données. Chaque demande de permission doit être justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis par l'application. L’éditeur doit également s’assurer que l’utilisateur est pleinement informé des raisons pour lesquelles ces données sont collectées et du type de traitement qui en découle.
Cette information peut par exemple être effectuée par le biais d’une politique de confidentialité claire et accessible avant même le téléchargement de l’application.
Enfin, pour faciliter l’exercice des droits d’accès, de rectification, de suppression, etc., la CNIL recommande de mettre en place un centre de gestion des droits au sein de l’application. Elle suggère également, à titre de bonne pratique, de proposer un système automatisé pour répondre rapidement aux demandes des utilisateurs, par exemple via une API dédiée.
Bien que le développeur agisse en tant que sous-traitant de l’éditeur dans le cadre de la création de l’application, il adopte un rôle de conseil envers ce dernier pour garantir que les obligations relatives à la protection des données personnelles sont intégrées dès la phase de conception de l’application. Il s’agit ainsi de conseiller l’éditeur sur la manière de concevoir l’application afin de minimiser son impact sur la vie privée des utilisateurs, et de mettre en œuvre les mécanismes adéquats pour recueillir un consentement valide des utilisateurs lorsque cela est nécessaire.
Le développeur doit également s’assurer que l’éditeur prend les bonnes décisions concernant les fonctionnalités de l'application, notamment en proposant des outils techniques (tels que les SDK). Bien que le choix final des SDK revienne à l’éditeur, en tant que responsable de traitement, le développeur doit veiller à proposer des solutions respectueuses des exigences du RGPD. Le développeur ne peut en aucun cas engager de sous-traitant pour des traitements de données sans l’approbation écrite préalable de l’éditeur.
Les fournisseurs de SDK (Software Development Kit) fournissent aux développeurs et éditeurs des outils essentiels pour l’intégration de fonctionnalités avancées au sein des applications. La CNIL précise que ces fournisseurs peuvent être considérés comme responsables de traitement, co-responsables ou sous-traitants en fonction de la nature et de l'étendue des traitements qu'ils effectuent.
La conception d’un SDK doit intégrer dès le départ les principes fondamentaux du RGPD. Le fournisseur de SDK a également un rôle de conseiller auprès des éditeurs et développeurs, en leur fournissant une documentation technique et juridique claire sur la manière dont le SDK traite les données. Cette documentation doit inclure les informations nécessaires pour que les éditeurs et développeurs puissent eux-mêmes démontrer leur conformité aux exigences du RGPD, notamment en matière de détermination des finalités, de fixation des durées de conservation et de sécurité des données.
Les fournisseurs de systèmes d’exploitation (OS) fournissent la plateforme de base sur laquelle les applications sont installées et fonctionnent. À ce titre, ils sont responsables d'intégrer des mécanismes de protection des données dans leur système dès sa conception, tout en offrant des fonctionnalités aux éditeurs et développeurs leur permettant d’atteindre les niveaux de conformité requis par le RGPD.
A ce titre, le fournisseur de système d’exploitation conçoit le système de gestion des permissions du téléphone, qui permet aux utilisateurs de gérer l’accès de chaque application aux différentes fonctionnalités et données du terminal. La CNIL insiste sur l'importance de fournir un contrôle granulaire des permissions pour offrir la plus grande maîtrise possible aux utilisateurs sur leurs informations personnelles. Ainsi, les permissions doivent pouvoir restreindre l'accès aux capteurs du terminal (appareil photo, microphone, GPS), aux fonctionnalités réseau (Bluetooth, Wi-Fi) et au stockage (galerie photos, contacts). La CNIL préconise aux fournisseurs d’OS d’offrir un choix granulaire sur chaque permission, permettant aux utilisateurs de conserver un contrôle sur l’accès à leurs données personnelles.
En outre, la CNIL recommande aux fournisseurs de systèmes d’exploitation de prévoir des dispositifs de contrôle parental permettant d'adapter les permissions et les contenus en fonction de la tranche d’âge de l’utilisateur. Ce contrôle parental, qui devrait dans l’idéal être stocké localement, offre la possibilité aux parents de restreindre l’accès à certaines applications ou fonctionnalités.
Les fournisseurs de magasins d’applications jouent un rôle d’intermédiaires dans l’écosystème des applications mobiles, offrant aux éditeurs une plateforme de diffusion et aux utilisateurs un espace de téléchargement des applications. Bien que le magasin d’applications ne soit pas responsable des traitements mis en œuvre au sein des applications elles-mêmes, il exerce un contrôle indirect important en raison de sa capacité à accepter ou refuser la publication des applications sur son magasin en fonction de critères qu’il définit. Ce contrôle, combiné aux critères de classement et de présentation des applications, confère au magasin une influence notable sur les choix des utilisateurs et, par conséquent, un impact indirect sur leurs droits et libertés.
Pour cette raison, la CNIL avait initialement envisagé un rôle de contrôle renforcé pour les magasins d’applications, vis-à-vis de la conformité des applications. Cependant, l’ADLC a recommandé de limiter ce rôle, afin de garantir que les plateformes dominantes ne profitent pas de cet accès privilégié aux informations commerciales des éditeurs (par exemple, les finalités de traitement spécifiques ou les modèles économiques). Elle souligne que ce contrôle de conformité doit rester neutre et ne pas conditionner ou retarder l’accès des éditeurs tiers au marché.
Suite à l’avis de l’ADLC, la CNIL a ajusté ses recommandations concernant la mise en place d’un score de protection de la vie privée pour chaque application. Bien que ce score puisse contribuer à une meilleure transparence pour les utilisateurs, l’ADLC a mis en garde contre les conflits d’intérêts potentiels lorsque le score est développé et appliqué par des plateformes dominantes comme Google et Apple. Ces plateformes pourraient favoriser leurs propres applications, compromettant ainsi l’impartialité du score.
Pour atténuer ce risque, l’ADLC recommande que le score soit élaboré par un régulateur, un organisme public, ou un tiers indépendant, en suivant des critères de transparence, d’objectivité et de proportionnalité. Les plateformes qualifiées de contrôleurs d’accès doivent également respecter les articles 6(2), 6(5) et 6(12) du DMA, qui imposent des conditions d’accès équitables, raisonnables et non discriminatoires. Dans ses recommandations finales, la CNIL insiste désormais sur le fait qu’un tel score devrait être défini par une méthodologie impartiale et transparente, élaborée en collaboration avec diverses parties prenantes, et en excluant les fournisseurs de magasins d’applications de la conception directe du score. La CNIL précise également que, pour les entreprises qui cumulent plusieurs rôles (éditeur, fournisseur d'OS, gestionnaire de magasin d'applications), ce processus de revue ne doit pas être plus complexe pour les applications tierces que pour leurs propres applications, en conformité avec le DMA.
Enfin, à titre de bonne pratique, la CNIL recommande que les magasins d’applications mettent à disposition des utilisateurs toutes les informations relatives aux traitements de données personnelles directement sur la page de chaque application. Bien qu’il appartienne à l’éditeur de renseigner et de mettre à jour ces informations, le magasin d’applications peut fournir une fonctionnalité permettant de centraliser ces données pour améliorer la transparence vis-à-vis des utilisateurs. De plus, les magasins d’applications doivent offrir des outils de signalement et faciliter l’exercice des droits des utilisateurs (droit d’accès, de rectification, de suppression, etc.).
En conclusion il est utile de rappeler que le secteur des applications mobiles constitue un point d’attention particulier de la CNIL. Ces nouvelles orientations s'inscrivent dans la continuité des priorités annoncées par la CNIL en 2023, qui avait identifié le suivi des utilisateurs par les applications mobiles comme une de ses cibles principales. Par ailleurs la CNIL a annoncé dans le cadre de son plan stratégique 2025-2028 (Voir notre article sur le sujet ici) qu’elle allait mener une vaste campagne de contrôle à partir du printemps 2025, visant à s'assurer de la bonne compréhension et application de ces règles par l'ensemble des acteurs du secteur des applications mobiles.
On comprend dès lors l’intérêt particulier qui doit être porté aux recommandations de la CNIL par chacun des acteurs de l’écosystème des applications mobiles.
Les équipes Data Protection de BCLP travaillent à permettre aux acteurs de l’écosystème des applications mobiles de développer des solutions technologiques novatrices tout en respectant les règles applicables à la protection des données personnelles.
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