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La Commission publie sa première décision rendue au titre du FSR
Apr 30, 2025La Commission européenne publie enfin, plus de 6 mois après son adoption, sa première décision rendue au titre du règlement sur les subventions étrangères (« FSR »).
Que prevoit le FSR ?
Le FSR, entré en application le 12 juillet 2023, vise à remédier aux distorsions causées par des subventions versées par des pays tiers à l’Union européenne aux entreprises.
Depuis le 12 octobre 2023, les entreprises doivent, en plus d’une éventuelle notification au titre du contrôle des concentrations, notifier à la Commission leurs opérations de concentration au titre du FSR lorsque :
- au moins une des entreprises parties à la fusion, l’entreprise acquise ou l’entreprise commune est établie dans l’UE et génère un chiffre d’affaires total d’au moins 500 millions d’euros dans l’UE, et,
- les parties ont reçu de pays tiers des contributions financières totales cumulées de plus de 50 millions d’euros au cours des trois années précédant la concentration.
Lorsqu’une opération de concentration remplissant ces conditions est notifiée, la Commission peut ouvrir une enquête approfondie au plus tard 25 jours ouvrables après réception de la notification complète et doit rendre sa décision dans les 90 jours ouvrables après l’ouverture de l’enquête approfondie. À l’issue de son enquête approfondie, la Commission peut :
- Adopter une décision sans émettre d’objection ;
- Autoriser la concentration sous réserve du respect d’engagements ;
- Interdire la concentration.
Les principaux enseignements de la decision
Rappel du contexte de la décision
L’opération concernée portait sur le projet d’acquisition par e&, opérateur de télécommunications émirati détenu par un fonds souverain placé sous le contrôle des Émirats arabes unis (« EAU ») - l’Emirates Investment Authority (« EIA ») - de PPF Telecom Group (« PPF »), opérateur néerlandais de télécommunications exerçant ses activités notamment en République Tchèque, en Hongrie, en Serbie, en Slovaquie et en Bulgarie. Ce projet avait été notifié le 26 avril 2024.
Après une enquête approfondie et une instruction relativement rapide (la décision ayant été rendue avant l’expiration du délai des 90 jours ouvrables fixée au 15 octobre 2024), la Commission a, le 24 septembre 2024, autorisé sous conditions l’opération.
Un communiqué de presse avait été publié le même jour, et décrypté par notre équipe Concurrence & Distribution.
Le texte de la décision enfin publié apporte des précisions additionnelles particulièrement utiles pour les entreprises, sur l’analyse menée par la Commission en application du FSR.
L’appréciation de l’existence de subventions étrangères
L’appréciation du prêt consenti par un consortium de banques finançant l’acquisition
L'acquisition de PPF par e& devait être financée par un prêt à terme comprenant trois tranches en USD et en AED (Dirham des EAU), consenti par 4 banques publiques émiraties et un prêteur privé.
- L'évaluation de la Commission s'est concentrée sur les tranches en AED fournies très majoritairement par les banques publiques, par opposition à la tranche en USD, qui provenait exclusivement du prêteur privé.
- Malgré des données limitées et l’impossibilité de réaliser des benchmarks pertinents sur les obligations libellées en AED, e& a pu faire valoir que le prêt avait été conclu aux conditions du marché, en fournissant une analyse comparant les conditions des tranches USD et AED et en démontrant que le prêt avait été conclu à des conditions similaires à celles d'un autre prêt dans lequel les banques publiques avaient investi pari passu avec des prêteurs privés.
- En conséquence, la Commission a conclu que le prêt à terme ne constituait pas une subvention étrangère.
L'inapplicabilité à e& de la loi ordinaire sur l'insolvabilité des EAU assimilée à une garantie illimitée de l’Etat
Selon le décret-loi fédéral n° 9 de 2016 des EAU, les entreprises publiques comme e& ne sont soumises au droit commun des entreprises en difficulté que si elles y consentent explicitement dans leurs statuts, ce qui n’était pas le cas d'e&.
- La Commission considère qu’il résulte de cette dérogation au droit commun applicable aux entreprises en difficulté qu’e& a peu de chances de se trouver en défaut de paiement, étant donné la forte probabilité d’une intervention des autorités émiraties en cas d'insolvabilité. Elle relève que cette forte probabilité est d’ailleurs reflétée dans la notation de crédit exceptionnellement élevée d’e&, par comparaison à d’autres opérateurs de télécommunications.
- A la lumière de sa jurisprudence en matière d’aides d’état, la Commission a conclu que l'inapplicabilité du droit commun des entreprises en difficulté équivalait à une garantie illimitée de l’État et donc une subvention étrangère.
- Sur la question de la date à laquelle cette subvention avait été accordée, la Commission a considéré qu’elle était bien intervenue au cours des trois années précédant l'acquisition, les actionnaires d'e& n'ayant jamais choisi d'opter pour l'application du droit commun, de sorte que la garantie illimitée pouvait être considérée comme renouvelée et accordée à chaque assemblée des actionnaires.
Évaluation des autres contributions financières étrangères
La Commission a examiné d’autres contributions, et notamment (i) deux contributions pour lesquelles les développements sont entièrement confidentialisés et (ii) divers prêts, facilités et subventions accordés à l’actionnaire majoritaire d’e&, l’EIA, par le ministère des finances des EAU et des banques publiques émiraties.
Elle a déterminé que cette seconde série de contributions constituait des subventions étrangères, notamment :
- En faisant usage de la prérogative prévue par l'article 16§3 du FSR, lui permettant de considérer qu'une contribution financière confère un avantage lorsque la partie notifiante ne fournit pas d'informations suffisantes à ce sujet.
- En considérant que les prêts consentis par des banques publiques émiraties pouvaient être attribués à l’Etat, eu égard notamment aux liens entre les membres du conseil d'administration des banques, les administrations et familles dirigeantes des EAU.
Principaux enseignements
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L’appréciation d’une distorsion de concurrence et le test de « mise en balance »
La Commission procède à l’évaluation de la distorsion de concurrence susceptible d’être causée par les subventions étrangères sur deux plans : (i) l’évaluation de la distorsion sur le processus d'acquisition, puis (ii) l’évaluation de la distorsion sur les activités de la nouvelle entité après la concentration.
L’évaluation de la distorsion sur le processus d'acquisition
Dans sa décision, la Commission conclut que les subventions étrangères reçues par e& n'avaient pas faussé, réellement ou potentiellement, le processus d'acquisition.
Dans son évaluation, la Commission relève que l'acquisition n'a pas fait l'objet d'une procédure d'appel d'offres structurée et que l'entreprise cible n’a pas été approchée par un autre acheteur potentiel, ce qui constitue un indice de ce que le processus d’acquisition n’a pas pu être faussé par les subventions étrangères.
La Commission n'a par ailleurs identifié aucune autre partie intéressée et a constaté que le montant de la transaction était comparable à des transactions similaires.
La Commission a également souligné qu'e& aurait pu acquérir PPF sans recourir aux subventions étrangères en question, dès lors qu’elle disposait d’autres sources potentielles de financement.
L’évaluation de la distorsion sur les activités de la nouvelle entité après la concentration
La Commission rappelle que les garanties illimitées sont "les plus susceptibles de fausser le marché intérieur" et, en ce qui concerne les autres subventions étrangères identifiées, relève que leur valeur est significative et très supérieure aux investissements prévus dans le business plan de la cible pour les 5 prochaines années.
Elle conclut donc que les subventions étrangères identifiées créent une distorsion sur le marché intérieur dans le cadre des activités de la nouvelle entité après la transaction. En effet, elles pourraient permettre à la nouvelle entité de bénéficier de meilleures conditions d'investissement que ses concurrents dans le secteur des télécommunications, où les investissements "sont d'une importance capitale" notamment pour l’acquisition de fréquences, le financement du réseau mobile ou pour financer des offres de gros agressives.
La Commission considère par ailleurs, de manière assez lapidaire, que ces distorsions ne sont pas compensées par d’éventuels effets positifs, considérant que les éléments avancés par la partie notifiante à cet égard (amélioration du service client, optimisation du réseau) résultaient de la transaction, et non des subventions étrangères.
Principaux enseignements
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L’appréciation des engagements proposés
Pour remédier aux préoccupations soulevées, e& et l’EIA ont proposé initialement trois séries d’engagements pour une durée de 10 ans avec possibilité pour la Commission de les prolonger de 5 années supplémentaires ainsi qu’un suivi par un mandataire indépendant :
- Un engagement à ne pas faire déroger les statuts d’e& au droit commun de la faillite des EAU, supprimant ainsi la garantie d’État illimitée ;
- Une interdiction de tout financement provenant des EIA et d’e& en faveur des activités de PPF dans le marché intérieur de l’UE, ainsi que l’obligation de réaliser les autres opérations entre ces entreprises aux conditions du marché ;
- L’obligation pour e& d’informer la Commission des futures acquisitions qui ne sont pas des concentrations soumises à l’obligation de notification au titre du FSR.
La Commission a jugé les engagements proposés par les parties satisfaisants dans leur principe, mais a considéré que l’absence de définitions de certains termes, et notamment du terme « financement » pouvait permettre un contournement des engagements, ce qui a conduit les parties à soumettre une nouvelle proposition pour répondre aux exigences de la Commission.
Principaux enseignements
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