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Transposition de la directive ECN+ : Point sur les nouveautés en droit de la concurrence

Transposition de la directive ECN+ : Point sur les nouveautés en droit de la concurrence

Jun 24, 2021
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L’ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 (l’« Ordonnance ») vient parachever la transposition en droit français de la directive européenne dite « ECN + » du 11 décembre 2018, qui tend à renforcer les pouvoirs des autorités nationales de concurrence et à augmenter leur efficacité. Elle complète les dispositions de la loi dite « DDADUE », entrée en vigueur le 6 décembre 2020 et du décret du 10 mai 2021 consacré à l’aménagement de la procédure de clémence. L’ensemble de ces textes renforcent substantiellement les pouvoirs de l’Autorité de la concurrence (l’« ADLC ») et les règles de procédure en droit de la concurrence.

Nous présentons ici les principales nouveautés auxquelles les entreprises seront confrontées.

L’ADLC disposera de la possibilité d’établir ses priorités
 

L’Ordonnance introduit le principe d’opportunité des poursuites. L'article L. 462-8 al. 2 du Code de commerce prévoit désormais que l’ADLC peut rejeter certaines saisines, « lorsqu'elle ne les considère pas comme une priorité ». L’ADLC pourra donc fixer ses priorités et concentrer son action et ses ressources sur ce qui représentera à ses yeux un enjeu concurrentiel significatif. Cette nouvelle prérogative est lourde de conséquences puisque des victimes de pratiques anticoncurrentielles pourront le cas échéant se voir opposer que leur dossier n’entre pas dans les priorités de l’ADLC (en dépit des éléments probants apportés). Les stratégies contentieuses des entreprises pourraient s’en trouver modifiées puisque se posera bien plus fréquemment la question de porter le litige devant la juridiction commerciale.

La tâche de l’ADLC pour obtenir l’autorisation de procéder à des enquêtes lourdes sera facilitée
 

Afin de gagner en rapidité et en efficacité, l’article L. 450-4 du Code de commerce, tel que modifié par la loi DDADUE, prévoit désormais qu’un même juge des libertés et de la détention (« JLD ») pourra autoriser des opérations de visites et saisies (OVS) simultanées sur la totalité du territoire, y compris en dehors de sa juridiction. L’ADLC n’aura donc pas à soumettre des requêtes aux différents JLD territorialement compétents, comme c’était le cas jusqu’ici.

L’ADLC pourra se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires
 

L’Ordonnance modifie l’article L. 464-1 du Code de commerce pour offrir la possibilité à l’ADLC de se saisir d’office en vue de prononcer des mesures conservatoires. Elle ne pouvait jusqu’ici prononcer de telles mesures que dans l’hypothèse d’une demande de mesures conservatoires accessoire à une saisine au fond. Dorénavant, l’ADLC pourra remédier « de sa propre initiative » à des situations susceptibles de porter une atteinte grave et immédiate à la concurrence.

La nouvelle procédure simplifiée permettra à l’ADLC de se prononcer au terme d’un tour de contradictoire sans que la sanction pécuniaire ne soit plafonnée
 

La loi DDADUE fait profondément évoluer la procédure simplifiée.

L’article L. 463-3 du Code de commerce tel que modifié prévoit que le Rapporteur général peut décider qu’une affaire sera examinée par l’ADLC sans établissement préalable d’un rapport, c’est-à-dire au terme d’un seul tour de contradictoire. La décision de recourir à la procédure simplifiée devra être prise avant la notification de grief. Se pose dans ce cas la question des critères sur la base desquels le Rapporteur général pourra décider qu’une affaire doit être traitée en procédure « simplifiée », ces critères n’étant pas explicitement exposés dans les textes.

 Cela étant, en cas de procédure simplifiée :

  • L’ADLC a fait savoir qu’un « state of play meeting » devrait précéder la notification de griefs afin que les entreprises soient informées des contours des griefs en amont, même si la tenue d’une telle réunion n’est pas prévue par les textes.
  • La notification des griefs fera à la fois état des pratiques reprochées et des éléments relatifs à la sanction encourue. Les entreprises devront donc se préparer à débattre de la sanction alors même qu’elles débattront en même temps du fond du dossier.
  • L’article L. 463-3 du Code de commerce tel que modifié prévoit que le délai pour répondre à la notification des griefs, de 2 mois dans la procédure normale, pourra être étendu à 4 mois lorsque le chiffre d'affaires cumulé réalisé en France lors du dernier exercice clos de l'ensemble des parties dépasse 200 millions d'euros et dès lors qu'au moins une des parties en formule la demande.
  • La loi DDADUE abroge le plafond de 750 000 euros de la sanction pécuniaire susceptible d’être infligée dans le cadre de la procédure simplifiée. Autrement dit, les parties poursuivies perdront le bénéfice d’un deuxième tour de contradictoire, mais ne bénéficieront d’aucun allègement de sanction : le plafond de 10 % prévu en cas de procédure ordinaire trouvera en effet aussi à s’appliquer en cas de procédure simplifiée.

 Il est par ailleurs prévu que le Rapporteur général pourra décider, au vu des réponses des entreprises poursuivies à la notification des griefs, de revenir à la procédure ordinaire. Dans une telle hypothèse, un rapport sera adressé aux parties.

Un nouvel arsenal répressif mis à la disposition de l’ADLC

Les entreprises confrontées au risque d’injonction structurelle en cas de pratiques anticoncurrentielles

L’Ordonnance dote l’ADLC d’un nouveau pouvoir de sanction, prévu à l’article L. 464-2 du Code de commerce : la faculté de prononcer des injonctions structurelles dans le cadre de contentieux relatifs aux pratiques anticoncurrentielles. L’ADLC pourra donc ordonner au contrevenant de se défaire de certains actifs.

 Ce type de sanction doit néanmoins s’avérer strictement nécessaire pour faire cesser effectivement l'infraction et s’il existe plusieurs solutions pour remédier au problème de concurrence (autrement dit, une mesure correctrice structurelle et une mesure comportementale) l’ADLC devra alors choisir la moins contraignante des deux. Il est évident que ce point va nourrir des débats importants sur la proportionnalité et l’équivalence des sanctions. 

L’extension du domaine des injonctions structurelles applicables en outre-mer

La loi DDADUE introduit à l’article L. 752-27 du Code de commerce, la possibilité pour l’ADLC d’imposer en outre-mer des injonctions structurelles aux commerces de grosdétenant une position dominante, alors que cette possibilité était auparavant limitée auxcommerces de détail. En outre, ces injonctions peuvent être prononcées dès lors que cette position dominante soulève de simple « préoccupations de concurrence » (sans que cette notion ne soit définie) et non plus, comme c’était le cas jusqu’ici, en présence d’une « atteinte à une concurrence effective dans la zone considérée ».

Un risque considérablement accru pour les associations professionnelles

L’Ordonnance modifie en profondeur les règles applicables aux associations professionnelles. Ces associations étaient jusqu’ici exposées à un risque d’amende plafonnée à 3 millions d’euros. Désormais, l’article L. 462-4 du Code de commerce prévoit un plafond de 10 % du chiffre d’affaires annuel de l’association contrevenante ou, lorsque l’infraction porte sur l’activité de ses membres, de 10 % de la somme des chiffres d’affaires mondiaux des membres actifs sur le marché affecté par l’infraction. Il va sans dire que ces nouvelles règles vont avoir un impact significatif sur le fonctionnement de ces associations et entrainer une mise en conformité à marche forcée.

La procédure de clémence est modifiée
 

La procédure de clémence connaît également un certain nombre de modifications.

Introduction d’une immunité pénale pour les personnes physiques bénéficiant de la clémence

L’Ordonnance crée un nouvel article L. 420-6-1 au sein du Code de commerce, prévoyant une exonération des sanctions pénales prévues à l’article L. 420-6 du même Code (i.e. 4 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende), au profit des directeurs, gérants et autres membres du personnel d’une entreprise contrevenante, dès lors que cette dernière a bénéficié d’une immunité totale de sanction au titre de la procédure de clémence. Les personnes physiques ne sont toutefois exemptes des sanctions pénales que pour autant qu’elles ont activement coopéré avec l’ADLC.

Cette réforme est importante puisqu’elle remédie à une situation paradoxale : les dirigeants d’une entreprise qui avait pu bénéficier d’une immunité totale de sanction au titre de la clémence, demeuraient exposés au risque d’une sanction pénale et pouvaient être poursuivis à titre personnel pour avoir pris une part frauduleuse et déterminante dans la réalisation de l’infraction. L’incitation des dirigeants et de l’entreprise à solliciter la clémence pouvait s’en trouver amoindrie.

 La demande de clémence pourra être soumise via la nouvelle plateforme d’échanges sécurisée Hermès

Le décret du 10 mai 2021 introduit à l’article R. 464-5 du Code de commerce la possibilité pour les entreprises et personnes physiques souhaitant bénéficier du programme de clémence, d’adresser leur demande via la plateforme d'échanges sécurisés de documents électroniques Hermès, récemment mise en place par l’ADLC afin d’accélérer et simplifier les échanges en matière de procédure.

Suppression de l’avis de clémence

La loi DDADUE supprime l’avis de clémence, jusqu’alors prévu à l’article R. 464-5 du Code de commerce. L’avis de clémence, rappelons-le, était adopté à la suite de la demande d’une entreprise de bénéficier de l’immunité, et définissait les conditions dans lesquelles l’exonération pouvait être accordée. Critiqué en raison du ralentissement de la procédure qu’il pouvait induire, la suppression de cet avis est destinée à accélérer la procédure de clémence. 

Suppression du critère de l’importance du dommage causé à l’économie

L’Ordonnance supprime le critère de l’importance du dommage causé à l’économie, dont l’ADLC devait tenir compte lors la détermination du montant des sanctions pécuniaires infligées aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles. L’ADLC devra désormais seulement se fonder sur la situation de l’entreprise sanctionnée et sur la gravité de l’infraction, ainsi que sur sa durée. Cette suppression vient de donner lieu à l’ouverture par l’ADLC d’une consultation publique sur la révision du communiqué sanction, en vigueur depuis 2011.

L’extension du périmètre des décisions pouvant être adoptées par la Présidente de l’ADLC

La loi DDADUE modifie l’article L. 461-3 du Code de commerce et étend le champ des décisions qui peuvent être adoptées par la Présidente ou un(e) vice-président(e) de l’ADLCstatuant seul(e) sur proposition du Rapporteur général de l’ADLC. Jusqu’ici, la Présidente de l’ADLC pouvait adopter seule un certain nombre de décisions, en particulier :

  • les décisions d’irrecevabilité ;
  • les décisions de rejet pour défaut d’élément probant ;
  • les décisions de phase I du contrôle des concentrations.

À la faveur de la loi DDADUE, la Présidente peut désormais, sur proposition du Rapporteur général, décider seule d’une autosaisine de l’ADLC sur :

  • tous types de pratiques anticoncurrentielles ;
  • tous types de manquements aux règles du contrôle des concentrations (par exemple : absence de notification préalable, gun jumping, non-respect d’engagements).

Dès lors qu’une décision d’autosaisine ne consiste pas en l’infliction d’une sanction, ce type de décision peut échapper au principe de collégialité et être adoptée par la Présidente seule. Cette modification devrait avoir ainsi pour effet d’alléger la procédure et d’en réduire la durée.

 Allègement des conditions de répression des micro pratiques anticoncurrentielles

La sanction des « micro PAC » (c’est-à-dire des ententes et abus de position dominante mis en œuvre par des entreprises dont les chiffres d’affaires n’excèdent pas 50 millions d’euros à titre individuel et 200 millions d’euros en cumulé) est désormais facilitée par la loi DDADUE. Ces pratiques devaient jusqu’ici affecter un marché de dimension locale. Cette exigence, auparavant prévue à l’article L. 464-9 du Code de commerce, a été supprimée. La DGCCRF peut donc sanctionner des « micro PAC » quelle que soit la dimension géographique du marché affecté.

Deux conclusions générales peuvent être tirées de cette réforme :

  • Avec ces mesures, le législateur entend manifestement améliorer l’efficacité de la détection et de la répression des infractions au droit de la concurrence. Dans ce contexte, il devient fondamental pour les entreprises et associations professionnelles de s’assurer du respect des règles applicables. Les programmes de conformité ont de beaux jours devant eux.
  • Si les objectifs poursuivis sont clairs, la mise en œuvre de certaines mesures pose question et il ne fait pas de doute que les débats dans les premières affaires où l’ADLC fera application de ses nouvelles prérogatives seront nourris. Àsuivre, donc.

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