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Audits pré-acquisition et responsabilité pénale de l’absorbante

Audits pré-acquisition et responsabilité pénale de l’absorbante

Jul 11, 2024
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La société absorbante, quelle que soit sa forme, peut être tenue responsable pénalement des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.

Par un arrêt du 22 mai 2024, publié au bulletin et aux Lettres de Chambre (Crim. 22 mai 2024, FS-B, n° 23-83.180), la Chambre criminelle de la Cour de Cassation vient étendre sa jurisprudence entamée en novembre 2020 en généralisant à toute les formes de sociétés le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante en cas d’opération de fusion absorption.

Rappelons que, de manière constante jusqu’à fin 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation – retenant une interprétation stricte du principe de personnalité des peines – refusait d'admettre en cas de fusion-absorption, que la société absorbante puisse être tenue pénalement responsable des délits commis par la société absorbée[1], considérant que « l'absorption (...) fait perdre son existence juridique à la société absorbée ». En effet, la fusion-absorption emportait la dissolution de la société absorbée et ladite société, qui avait perdu son existence juridique, ne pouvait plus voir sa responsabilité pénale engagée. L'action publique à l'encontre de cette dernière était donc éteinte[2]. La situation de la personne morale dissoute était assimilée à une personne physique décédée, en application de l’article 6 du code de procédure pénale. De la même manière, la société absorbante, personne morale distincte, ne pouvait voir sa responsabilité engagée pour des faits commis par la société absorbée.

Par une décision en date du 5 mars 2015[3], la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avait amorcé une évolution en cette matière en jugeant que l’article 19 de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978, devenu l’article 19, paragraphe 1er, de la directive 2011/35/UE du 5 avril 2011, relatif aux fusions internes de sociétés anonymes, devait s’interpréter comme suit : une fusion par absorption entraîne la transmission, à la société absorbante, de l’obligation de payer une amende infligée par décision définitive, après cette fusion, pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant ladite fusion.

Par un arrêt du 25 novembre 2020[4], la Cour de cassation avait donc opéré un important revirement de jurisprudence en admettant qu’une société absorbante pouvait désormais être pénalement condamnée à une peine d’amende ou de confiscation (i.e., peines exclusivement patrimoniales) pour des infractions commises avant cette fusion par une autre société absorbée.

Ce transfert de responsabilité pénale était toutefois limité aux opérations de fusion-absorption répondant aux trois critères cumulatifs suivants :

  • les sociétés objets de l’opération sont des sociétés anonymes (SA), des sociétés par actions simplifiées (SAS) ou des sociétés en commandite par actions (SCA) entrant dans le champ d’application de la directive 78/855/CEE du 9 octobre 1978, codifiée par la directive 2011/35/UE du 5 avril 2011 ;
  • l’ensemble du patrimoine (actif et passif) de la société absorbé est transféré à la société absorbante ; et
  • l’opération de fusion-absorption est postérieure à l’arrêt du 25 novembre 2020.

S’agissant des autres formes de sociétés, seuls les cas de fraude à la loi entrainaient une possible mise en cause de la société absorbante. Ainsi, si l’opération de fusion absorption était motivée par la nécessité de mettre fin aux poursuites à l’encontre de la société absorbée, la société absorbante pouvait toujours être poursuivie sans que les conditions susvisées soient remplies, outre le fait que toutes les peines existantes (et non seulement les peines patrimoniales et pénales) pouvaient être appliquées.

Il n’existait toutefois pas de principe général de transfert de responsabilité de la société absorbée vers la société absorbante en cas de fusion-absorption.

Aux termes de l’arrêt du 22 mai 2024[5], la Cour de cassation confirme la solution établie par l’arrêt du 25 novembre 2020 et l’étend aux sociétés à responsabilité limitée qui ont fait l’objet d’une fusion-absorption postérieurement au 25 novembre 2020, érigeant ainsi en principe général le transfert de responsabilité en cas de fusion-absorption.

En l’espèce, le Tribunal correctionnel a condamné plusieurs SARL en juin 2021 au paiement d’une amende de 30.000 euros pour diverses infractions au code de l’urbanisme en lien avec l’exploitation d’un camping, commises en 2015.

En cours de procédure d’appel, le 30 septembre 2022, deux des SARL condamnées en première instance ont fusionné. Or, en avril 2023, la Cour d’appel a confirmé les condamnations des SARL en imputant celle de la SARL absorbée à l’absorbante.

La société absorbante a formé un pourvoi en cassation, faisant valoir dans un premier moyen que le principe de personnalité des peines, exprimé à l’article 121-1 du code pénal et aux termes duquel « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », empêchait que l’absorbante soit condamnée pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la première[6] et qu’il n’existe que deux hypothèses dans lesquelles la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération :

  • lorsque l’opération de fusion-absorption, conclue postérieurement à l’arrêt du 25 novembre 2020, concerne des sociétés anonymes et entre à ce titre dans le champ d’application des directives 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 et 2011/35/UE du 5 avril 2011, d’une part ; et
  • lorsque l’opération, quelles que soient sa date et la forme de société, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et constitue ainsi une fraude, d’autre part.

Or, les sociétés en l’espèce étant des sociétés à responsabilité et non des sociétés anonymes, la requérante n’entrait donc pas dans le champ de la directive et, par ailleurs, rien ne permettait de démontrer que cette opération constituait une fraude ayant pour seul objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale.

Se fondant sur l’article 121-1 du code pénal, sur l’article L.236-3 du code de commerce et sur l’article L. 1224-1 du code du travail – selon lequel tous les contrats de travail en cours au jour de l’opération se poursuivent entre la société absorbante et le personnel de l’entreprise absorbée – la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.

Elle relève d’une part que « l’activité économique exercée dans le cadre de la société (…) se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération et qu'ainsi, la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée ». Ainsi, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.

La Cour de cassation précise d’autre part que « la personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer ».

Ce faisant, la Cour de cassation adopte une position pragmatique eu égard à la réalité économique des opérations de fusion-absorption, bien que cela soit contraire à la lettre de l’article 121-1 du code pénal.

En sus, la Cour de cassation souligne que même si elle n’avait pas encore eu l’occasion de se prononcer sur les conséquences quant à l’action publique d’une fusion-absorption lorsqu’elle concerne une société à responsabilité limitée, sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis son arrêt du 25 novembre 2020[7]et en déduit le caractère rétroactif de ce principe aux sociétés poursuivies. Ce point a fait l’objet de nombreuses critiques eu égard à la nécessité de placer les justiciables dans une situation de sécurité juridique.

Une chose est certaine, par cet arrêt, la Cour de cassation, participe à la pénalisation croissante des activités des personnes morales.

Ainsi, dans le cadre d’opérations de fusion-absorption, il convient de redoubler de vigilance.

D’une part, il est indispensable de renforcer l’attention portée aux risques pénaux lors des audits pré-acquisition afin d’être en capacité de les maitriser, de mesurer leurs conséquences et d’évaluer les coûts susceptibles d’en découler.

D’autre part, à la suite de l’opération de fusion-absorption, il convient de conserver le plus d’éléments possibles afin de pouvoir assurer la défense devant les tribunaux, si des poursuites sont exercées, de la société absorbée pour les faits susceptibles de lui être reprochés pour le compte de la société absorbée.


[1] Cass. crim, 20 juin 2000, n°99-86.742 ; Cass, crim.14 oct. 2003, n°02-86.376 ; Cass. crim., 9 sept. 2009, n°08-87.312

[2] Cass. crim.
18 févr. 2014, n° 12-85.807

[3] CJUE 5 mars 2015, aff.C-343/13 Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condiçoes de Trabalho

[4] Cass. Crim, 25 novembre 2020, n°18-86.955

[5] Cass. Crim 22 mai 2024, n°23-83.180      

[6] Article 121-1 du code pénal

[7] Cass. Crim, 25 novembre 2020, n°18-86.955

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