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Contrôle des subventions étrangères : Synthèse de l'actualité récente
Oct 10, 2025Summary
- Le Règlement 2022/2560 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (FSR), entré en application le 12 juillet 2023, vise à remédier aux distorsions causées par des subventions versées par des pays tiers à l’Union européenne aux entreprises.
- Depuis le 12 octobre 2023, la Commission européenne est chargée de contrôler les opérations de concentration et procédures de marchés publics impliquant des entreprises ayant reçu un soutien financier étranger.
- Elle dispose pour cela de plusieurs outils : la notification obligatoire des concentrations et réponses aux marchés publics dépassant certains seuils, la possibilité de mener des enquêtes de sa propre initiative et l’imposition de mesures correctives en cas de distorsion de concurrence identifiée.
UN PROJET DE LIGNES DIRECTRICES TRèS ATTENDU
Le 18 juillet 2025, la Commission européenne a publié et soumis à consultation publique son projet de lignes directrices concernant la mise en œuvre du FSR.
Ce document était très attendu par les entreprises et les praticiens, eu égard aux nombreuses questions soulevées par le FSR, et le peu de décisions publiées par la Commission (à ce jour : (i) en contrôle des concentrations, une seule décision d’autorisation sous réserve d’engagements et une décision d’ouverture d’enquête approfondie, les décisions de phase I n’étant pas publiées et (ii) en marchés publics, trois décisions d’ouverture d’enquête approfondie, ayant conduit au retrait des offres).
A cet égard et si le projet apporte des clarifications utiles, il tend à indiquer que la Commission entend conserver une marge de manœuvre importante, en adoptant une définition très large de nombreuses notions clés du FSR.
Sur l’existence d’une distorsion de concurrence causée par une subvention étrangère, la Commission établit la grille d’analyse suivante :
- L’entreprise bénéficiaire de l'aide exerce une activité économique dans l'Union. La Commission adopte à cet égard une approche large, en retenant que ce critère sera rempli même lorsque le lien entre l’activité de l’entreprise subventionnée et le marché intérieur est établi, y compris de manière indirecte : dès lors par exemple que l’entreprise concernée achète des biens ou des services au sein de l’Union européenne (UE), ou encore si elle a des projets d’investissements dans l’UE.
- La subvention étrangère est susceptible d'améliorer la position concurrentielle de l'entreprise sur le marché intérieur. Là encore, la Commission retient une conception extensive de ce critère.
Elle considère ainsi que cette condition pourra être remplie dès lors que (i) l'entreprise utilise ou a l'intention d'utiliser la subvention étrangère pour ses activités économiques dans le marché intérieur, (ii) lorsque la subvention étrangère est accordée pour soutenir les activités économiques de l'entreprise dans le marché intérieur (de manière directe, comme par exemple une subvention de la production, ou indirecte, comme par exemple via la subvention d’activités de R&D en dehors de l’UE mais susceptible d’être utilisée ultérieurement sur le marché intérieur), mais également (iii) lorsque la subvention n’est pas spécifiquement destinée, orientée ou utilisée pour une activité dans le marché intérieur, mais qu’il est possible que l'entreprise utilise les ressources concernées, en tout ou en partie, pour subventionner de manière croisée ses activités économiques dans le marché intérieur. La Commission indique à cet égard que son analyse reposera sur un faisceau d’indice : nature de la subvention et conditions attachées, structure capitalistique du bénéficiaire, accords existants avec des tiers, lois applicables, situation économique du bénéficiaire, etc…, de sorte qu’elle conserve en pratique une grande liberté d’appréciation. - La subvention étrangère affecte effectivement ou potentiellement de manière négative la concurrence sur le marché intérieur.
La Commission considère que cette condition pourra être remplie dans de nombreuses circonstances : lorsque la subvention (i) assouplit les contraintes financières et renforce la solidité financière de l’entreprise bénéficiaire, (ii) réduit les coûts de production et/ou d’investissement, (iii) altère les incitations à la prise de risque des entreprises, (iv) modifient le résultat des négociations pour l’acquisition d’entreprises ou encore (v) influent les procédures de passation de marchés publics.
Elle précise que, pour établir l’existence d’une distorsion, elle analysera les effets de la subvention à la fois : - Sur le comportement de l’entreprise bénéficiaire de la subvention, que ce soit en termes de prix, de production, de choix de clients ou fournisseurs, de diversification, d’investissement, de R&D, etc. ; et
- Sur la dynamique concurrentielle et son éventuelle altération au détriment d’autres opérateurs économiques. La Commission tiendra à cet égard compte de nombreux critères, et notamment (i) de l’étendue, de l’objet et des conditions de la subvention, (ii) de son montant, (iii) du type de subvention en cause, (iv) de l’importance du bénéficiaire, (v) des caractéristiques su secteur et (vi) du cadre juridique applicable.
La Commission dresse par ailleurs une typologie des principales distorsions de concurrence, qui recouvre un éventail très large de situations : lorsque la subvention facilite directement une acquisition, lorsqu’elle améliore la situation du bénéficiaire sur le marché par exemple en lui permettant d’abaisser ses prix, lorsqu’elle altère ses décisions d’investissements, ou encore a un impact sur la chaîne de valeur. - Dans le cadre des marchés publics, la subvention étrangère permet à l’opérateur économique de soumettre une offre indûment avantageuse.
La Commission concentrera son analyse sur cette condition dans le cadre des marchés publics. Elle analysera en premier lieu si une subvention étrangère permet à un opérateur économique de soumettre une offre indûment avantageuse pour les travaux, les fournitures ou les services concernés (par exemple, en réduisant le prix, en améliorant la qualité ou en proposant de meilleures conditions en termes de livraison, garanties, services, etc.). Elle analysera ensuite si cet avantage peut être expliqué par d’autres facteurs que la subvention étrangère, par exemple, grâce à la rentabilité du processus de production, à l’innovation ou des techniques innovantes, ou à des conditions exceptionnelles dont bénéficie l’opérateur économique.
La Commission précise également qu’une subvention étrangère accordée non pas à l’opérateur économique participant à l’appel d’offres mais à une société du groupe ne permet pas d’exclure l’existence d’une offre indûment avantageuse. La Commission pourra alors envoyer des demandes d’informations pour comprendre le lien entre la subvention étrangère accordée à une société du groupe et l’opérateur économique participant à l’appel d’offres. Cette précision est importante car, contrairement au contrôle des concentrations, les sociétés sœurs ne sont en principe pas incluses dans le périmètre de déclaration des contributions financières.
S’agissant de la manière dont elle entend mettre en œuvre le test de mise en balance (qui consiste à déterminer si les effets positifs d’une subvention compensent ses effets de distorsion), la Commission n’apporte pas réellement de précisions utiles, préférant indiquer que cette question relève d’une analyse au « cas par cas » et qu’il n’est pas possible de déterminer à l’avance si certains types de subventions auront nécessairement des effets positifs compensant les distorsions de concurrence qu’elles causent par ailleurs.
Le projet indique néanmoins que la Commission pourra tenir compte, au titre des effets positifs, du renforcement de la protection de l’environnement, des droits humains, ou encore du développement économique de régions désavantagées de l’UE résultant de la subvention.
Enfin, s’agissant de la mise en œuvre du pouvoir d’évocation (le FSR conférant à la Commission la possibilité de demander la notification préalable de toute concentration ne franchissant pas les seuils « à tout moment avant sa réalisation si elle soupçonne que des subventions étrangères ont pu avoir été octroyées aux entreprises concernées au cours des trois années précédant la concentration ») la Commission indique qu’elle considère disposer d’un « large pouvoir d’appréciation », et qu’elle tiendra notamment compte, pour décider d’user de cette possibilité, (i) du fait que le chiffre d’affaires de la cible ne reflète pas nécessairement l’importance de son activité économique, actuelle ou future, (ii) du caractère stratégique de son activité (notamment lorsqu’elle détient des infrastructures critiques ou des technologies innovantes), (iii) d’éventuelles stratégies d’acquisitions sous les seuils dans le secteur considéré, ou encore (iv) de la nature des subventions étrangères concernées.
Les contributions à la consultation publique étaient attendues pour le 12 septembre 2025, et la version finale des lignes directrices devrait être publiée au plus tard le 12 janvier 2026. Il faut donc espérer que la version finale apportera davantage de visibilité aux entreprises.
Lancement de la première évaluation du règlement sur les subventions étrangères, deux ans seulement après son entrée en vigueur
Le 12 août 2025, la Commission européenne a lancé sa première évaluation du règlement sur les subventions étrangères. Cette initiative vise à examiner sa pratique en matière de mise en œuvre et d’application du règlement.
La Commission sollicite pour cela les retours d’expérience des parties prenantes via :
- Une consultation publique pour recueillir les avis sur certains aspects de la mise en œuvre et de l’application du FSR auprès de toutes les parties prenantes, telles que les entreprises, les cabinets d’avocats, les États membres, les associations professionnelles, les particuliers ou la communauté scientifique.
- Un appel à contribution pour recueillir des retours plus généraux de toutes les parties prenantes sur les objectifs principaux du rapport de révision du FSR, ainsi que sur sa portée et son contexte/
La Commission indique attendre en particulier des retours sur (i) l'évaluation des subventions étrangères faussant le marché intérieur, (ii) l'application du test de mise en balance, (iii) l'examen, de la propre initiative de la Commission, des subventions étrangères susceptibles d'avoir un effet de distorsion sur le marché intérieur, (iv) les seuils de notification et (v) plus généralement, le niveau de complexité des règles et les coûts supportés par les entreprises.
La Commission est donc vraisemblablement consciente de ce que le FSR entraine une charge administrative très importante pour les entreprises, et que les seuils retenus, en particulier celui en termes de « contributions financières » perçues ne semblent pas nécessairement adaptés à l’objectif poursuivi. A cet égard :
- Concernant le contrôle des concentrations, il apparaît que (i) le nombre de notifications reçues par la Commission est bien plus élevé qu’anticipé et (ii) l’immense majorité des opérations revues à ce jour n’est pas problématique. En effet, la Commission a reçu depuis l’entrée en vigueur du FSR environ 200 notifications au titre d’opérations de concentrations, quand elle n’en anticipait qu’environ 30 par an lors de l’étude d’impact menée en 2021. Par ailleurs, sur l’ensemble des opérations revues, seulement deux ont fait l’objet d’un examen approfondi.
- Concernant les marchés publics, le nombre de notifications est également beaucoup plus élevé qu’anticipé. La Commission a ainsi reçu plus de 2 500 déclarations / notifications, dont trois seulement ont fait l’objet d’une enquête approfondie.
Les parties prenantes peuvent soumettre leurs observations, jusqu’au 18 novembre 2025 et la Commission devra présenter un rapport au Parlement européen et au Conseil en juillet 2026, accompagné, le cas échéant de propositions législatives appropriées.
On peut donc espérer à court terme une révision permettant un allègement des contraintes, tout en permettant à la Commission d’exercer son contrôle lorsque se présente un véritable enjeu concurrentiel.
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