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Operations De Concentrations Et Droit De La Concurrence : Actualites Du Mois De Novembre 2025

Operations De Concentrations Et Droit De La Concurrence : Actualites Du Mois De Novembre 2025

Dec 10, 2025
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L’Autorité de la concurrence vient de publier deux décisions particulièrement marquantes rendues début novembre : 

  • La décision « Doctolib » du 6 novembre 2025, par laquelle (i) elle sanctionne pour la première fois, sur le fondement de l’abus de position dominante, une acquisition prédatrice réalisée en 2018, et (ii) retient à charge, pour condamner une pratique d’exclusivité illicite, des analyses menées par la direction juridique de l’entreprise. 
  • La décision « groupe Parfait » du 3 novembre 2025, sanctionnant le non-respect de plusieurs engagements souscrits à l’occasion d’une opération de concentration autorisée en 2022, dont le défaut de coopération avec le mandataire en charge du suivi des engagements.

Notre équipe Antitrust Distribution & Foreign Investment revient sur les enseignements à tirer de ces deux décisions.

Affaire Doctolib : contr&ocic;le a posteriori d’une acquisition sous les seuils et utilisation d’analyses de la direction juridique

L’Autorité confirme la position dominante de Doctolib sur (i) le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne et (ii) le marché des solutions technologiques permettant la réalisation de téléconsultations.

L’Autorité retient ensuite l’existence de plusieurs abus, et condamne Doctolib à une amende totale de 4,6 millions d’euros :

(i) Exclusivités : L’Autorité sanctionne l’imposition par Doctolib, dans ses contrats d'abonnement avec les professionnels de santé, d’une clause d'exclusivité qui leur interdisait ou les dissuadait de recourir à des services concurrents.Cette exclusivité aurait, selon l’Autorité, limité le choix des professionnels de santé et empêché le développement d’opérateurs concurrents.

L’Autorité s’appuie à cet égard sur des documents internes de Doctolib affichant la volonté « [d'] être une interface obligatoire et stratégique entre le médecin et son patient afin de les verrouiller tous les deux » et de ne laisser « aucun cabinet à la concurrence ».

Mais surtout, elle tire argument d’échanges avec la direction juridique qui alertait sur les risques encourus : il « faut vraiment supprimer cette clause qui 1) affaiblit tout le contrat (elle est illégale au regard du droit de la concurrence) ». Selon l’Autorité, Doctolib avait donc « conscience du risque juridique associé à la clause d’exclusivité […] Or, non seulement cette clause a été maintenue […] à la demande expresse de son président, mais […] l’a amplifié avec l’ajout de la clause anti-allotement[1], dans le but de renforcer l’effet dissuasif ».

Retenir un tel élément à charge soulève de nombreuses questions et relance le débat sur l’extension du secret professionnel aux juristes d’entreprises. A l’heure où les obligations de mise en conformité pèsent sur les entreprises en toute matière, comment permettre aux juristes de travailler efficacement s’ils ne peuvent alerter leur direction des risques potentiels ?

(ii) Ventes liées : L’Autorité sanctionne la pratique consistant à imposer la souscription à Doctolib Patient (pour la prise de rendez-vous) comme condition préalable à l’accès aux services de téléconsultation. L’Autorité considère que la vente liée a empêché le recours à des solutions concurrentes, et donc renforcé la position dominante de Doctolib sur le marché des services de prise de rendez-vous médicaux en ligne.

(iii) Acquisition prédatrice : L’Autorité sanctionne l’acquisition en juillet 2018 par Doctolib de son « concurrent principal », MonDocteur. Il s’agit là de la première condamnation a posteriori d’une opération de concentration non-notifiable sur le fondement de l’abus de position dominante. On se souvient que la CJUE a rendu, en mars 2023, en réponse à une question préjudicielle dans l’affaire Towercast / TDF, un arrêt structurant par lequel elle indiquait qu’une opération de concentration qui n'avait pas fait l’objet d’un contrôle préalable, faute d’atteindre les seuils, pouvaient être analysée par une autorité nationale de concurrence comme une pratique anticoncurrentielle.

L’Autorité avait fait une première application de cette jurisprudence dans l’affaire des écarisseurs de 2 mai 2024. Les pratiques analysées avaient alors été envisagées sous l’angle du droit des ententes et aucune infraction n’avait finalement été caractérisée, faute de preuve.

La décision Doctolib constitue donc le premier cas de sanction a posteriori d’une concentration non notifiée au titre d’un abus de position dominante. L’Autorité a considéré que l’acquisition de MonDocteur avait pour objet (i) d’évincer son principal concurrent et de verrouiller le marché – l’Autorité vise à ce titre des documents internes, conversations de messagerie instantanée, et des présentations préparées par un cabinet de conseil – et (ii) de permettre à Doctolib d’augmenter les prix. L’Autorité a également retenu que cette acquisition avait permis à Doctolib de gagner 10 000 nouveaux professionnels de santé et d’augmenter sensiblement et durablement ses parts de marché.

L’amende prononcée – 50 000 euros – est néanmoins relativement faible, l’Autorité ayant tenu compte du fait que la jurisprudence Towercast était intervenue bien après l’acquisition de MonDocteur et de l’incertitude juridique prévalant antérieurement à cette décision.

Conseils pratiques – vigilance accrue pour les entreprises

L’affaire Towercast marque un véritable tournant, et, à l’instar de l’Autorité, d’autres autorités nationales ont cherché à remettre en question des opérations de concentration déjà réalisées.

Ainsi, l’autorité belge a déjà ouvert deux enquêtes sur la base de Towercast en 2023 et début 2025. Les enquêtes étant intervenues avant la réalisation de l’opération (contrairement à la décision Doctolib, intervenue sept ans après la transaction), elles ont été closes à la suite de l’abandon des opérations par les parties. Plus récemment, le 12 novembre dernier, l’autorité belge a ouvert une enquête concernant le rachat du festival Pukkelpop par Live Nation.

D’autres autorités, comme aux Pays-Bas[2] et en Suède[3], ont également ouvert des enquêtes pour des opérations sous les seuils

D’autres pays pourraient ainsi suivre l’exemple.

A cela s’ajoute la multiplication des mécanismes de call-in, permettant aux autorités de revoir des opérations sous les seuils dans un certain délai après la réalisation de l’opération. Plusieurs pays ont déjà adopté ces dispositifs, et un projet est en cours de revue en France.

Ces nouvelles possibilités créent une insécurité juridique, que les entreprises doivent prendre en compte lorsqu’elles envisagent des opérations d’acquisition, aussi bien dans le cadre des études de faisabilité qu’en terme de calendrier. En outre, si certains domaines (tech, pharmaceutique…) semblent particulièrement visés, aucun secteur n’est à l’abri d’une revue ex post par les autorités. Une vigilance renforcée est donc indispensable pour toutes les entreprises.

L’Autorité sanctionne plusieurs violations d’engagements dont, pour la première fois, un défaut de coopération avec le mandataire en charge du suivi d’un engagement de cession

Rappel du contexte en 2022 : Le 22 décembre 2022, l’Autorité a autorisé l’acquisition par le groupe Parfait de l’hypermarché Géant Casino et du centre commercial La Batelière en Martinique, sous réserve de plusieurs engagements, portant notamment sur la cession du fonds de commerce de l’hypermarché. Classiquement, cet engagement devait être réalisé sous 9 mois et s’accompagnait d’une obligation de préserver la valeur des actifs et de coopérer avec le mandataire chargé de son suivi et de sa mise en œuvre. Cette autorisation faisait suite à l’obtention par le groupe Parfait d’une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations en avril 2020.

Non-respect des engagements : Le groupe Parfait se voit infliger une sanction de 7,6 millions d’euros pour la violation de ces engagements. Plus précisément :

(i) Une violation de l’engagement structurel de cession[4], aux motifs que celle-ci n’est intervenue que le 9 septembre 2025, soit près de deux ans après l’échéance initiale, sans que le groupe Parfait n’ait sollicité de prolongation du délai d’exécution et alors même que plusieurs repreneurs avaient été agréés par l’Autorité, y compris dans le délai initial de 9 mois. L’Autorité retient par ailleurs que le groupe Parfait aurait manqué à son obligation d’information des candidats repreneurs en tardant, voire en omettant, de leur transmettre des « informations et documents essentiels » (comme par exemple l’information concernant une perte de l’autorisation d’exploitation commerciale de l’hypermarché cible).

L’Autorité écarte à cet égard les justifications avancées par le groupe Parfait, tirées notamment de la difficulté de retrouver un repreneur, considérant qu’en toutes hypothèses « les parties ne peuvent, au stade du contrôle de l’exécution des engagements souscrits devant l’Autorité, invoquer l’impossibilité ou la difficulté de se conformer à leurs propres engagements ».

(ii) Une violation de l’engagement de préservation de la valeur de l’actif, à raison notamment du fait (i) que l’autorisation d’exploitation commerciale a été rendue caduque en 2023 compte tenu d’une inexploitation pendant trois années consécutives, (ii) que plusieurs actifs matériels (caddies, éviers, caisses) avaient disparu ou ont été rendus non opérationnels, (iii) que les ressources humaines ont été considérablement réduites, (iv) de la dégradation des caractéristiques commerciales de l’actif (disparition de la capacité d’offrir certains services (poissonnerie, traiteur) et dégradation des services d’entretien de ménage et de sécurité) et (v) de la dégradation de l’état matériel de l’actif, résultant selon l’Autorité d’une absence d’investissement par le groupe Parfait à compter de 2021.

Se posait sur ce point la question de savoir si le respect de l’obligation de préservation de l’actif qui pesait sur le groupe Parfait devait être appréciée par rapport (i) à son état à la date de souscription des engagements (décembre 2022), ou (ii) à son état à la date à laquelle la dérogation à l’effet suspensif a été obtenue (avril 2020). L’Autorité retient que l’obligation de préservation de l’actif fait nécessairement référence, sauf à méconnaitre l’objectif de l’engagement, à l’état de l’actif qui « était le sien au moment de sa prise de contrôle par le groupe Parfait, intervenue le 30 avril 2020 ».

(iii) Une violation de l’engagement de coopération avec le mandataire, s’agissant tant de son office au cours de la phase de suivi des engagements que dans son mandat de cession. Elle retient à cet égard plusieurs manquements du groupe Parfait, et notamment (i) une nomination tardive (2 mois et 22 jours), (ii) un manque de coopération et de réactivité pour traiter les demandes du mandataire, illustré par le besoin pour ce dernier de réitérer de nombreuses demandes de documents, (iii) l’absence de communication d’informations s’agissant de la problématique liée à l’autorisation d’exploitation commerciale « pourtant susceptible d’affecter directement la cession du fonds de commerce », (iv) la communication d’éléments nombreux et non triés, « rendant leur analyse longue et fastidieuse », ou encore, (v) l’exclusion du mandataire des négociations portant sur le volet immobilier, non inclus dans le périmètre des engagements, mais qui était selon l’Autorité « indispensable » à la conduite effective de la mission du mandataire (dès lors que les acquéreurs avaient subordonné la reprise de l’hypermarché cible à celle de l’immobilier).

Enfin, en réponse à l’argument du groupe Parfait selon lequel le mandataire aurait lui-même manqué à ses engagements, l’Autorité répond que (i) les critiques formulées sont infondées mais surtout que (ii) « les carences du mandataire, fussent-elles avérées […] sont sans effet sur la responsabilité du groupe Parfait, seul tenu de la mise en œuvre des engagements et auquel il appartenait de se rapprocher de l’Autorité pour signaler toute difficulté identifiée dans leur suivi ». 

L’Autorité prononce ainsi trois sanctions distinctes pour chaque engagement non respecté, considérant que chacun d’entre eux pouvait être considéré comme autonome et poursuivait des objectifs différents : (i) 4,5 millions d’euros pour la violation de l’engagement de cession, (ii) 2,5 millions d’euros pour le manquement à la préservation de la valeur de l’hypermarché et du centre commercial, et (iii) 600 000 euros pour le défaut de coopération avec le mandataire. Elle insiste sur le caractère particulièrement grave de ce type d’infraction, d’autant plus que le groupe avait ici bénéficié d’une dérogation à l’effet suspensif du contrôle des concentrations.

Cette décision rappelle l’approche stricte de l’Autorité dans le suivi des engagements, même si leur exécution peut s’avérer complexe.


[1] L’Autorité indique que le terme « allotement » désigne la situation dans laquelle un client a recours simultanément à un service Doctolib et à un service fourni par un autre opérateur.

[2] En mars 2025, l’autorité néerlandaise a ouvert une enquête dans le secteur du transport de fond, sur la base des dispositions concernant un abus de position dominante.

[3] En août 2024, l’autorité suédoise avait également ouvert une enquête sur la base des dispositions concernant un abus de position dominante dans le secteur de la veille des médias, mais cette enquête a été abandonnée en novembre 2025.

[4] Il s’agit de la deuxième sanction d’un manquement de ce type par l’Autorité, la première ayant été prononcée lors de la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac, décision 18-D-16 du 27 juillet 2018.

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